Le 17 mai 2018
En même temps qu’un beau film noir, Preminger construit une réflexion sur le déterminisme et la culpabilité.
- Réalisateur : Otto Preminger
- Acteurs : Gene Tierney, Dana Andrews, Karl Malden, Gary Merrill, Ruth Donnelly , Tom Tully
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Ciné Sorbonne (reprise), Twentieth Century Fox France
- Editeur vidéo : Wild Side Video
- Durée : 1h35mn
- Reprise: 4 octobre 2023
- Box-office : 61 927 entrées France / 46 509 entrées Paris Périphérie
- Titre original : Where the Sidewalk Ends
- Date de sortie : 22 août 1951
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– Reprise en version restaurée : 4 octobre 2023
Résumé : Mark Dixon, détective, vient d’être rétrogradé par son chef pour brutalité envers un prévenu. Un riche éleveur du Texas a été poignardé après avoir gagné une importante somme d’argent aux dés, dans une chambre d’hôtel occupée par un aigrefin, Tommy Scalise. Dixon retrouve le principal témoin, Ken Payne, qui, en compagnie de son épouse Morgan, attira la victime dans la salle de jeu clandestine. Mais en brusquant un peu Payne, Dixon le tue accidentellement... Le détective fait disparaître le corps dans la baie du port. Un concours de circonstances fait que c’est Jiggs Taylor, chauffeur de taxi et père de Morgan, qui est suspecté du meurtre. Mark a un plan : faire accuser des deux crimes Tommy Scalise dont l’impunité lui est devenue odieuse...
Critique : L’équipe gagnante de Laura, le trio Preminger/Tierney/Andrews, se retrouve quelques années plus tard, mais Mark Dixon, détective, moins célèbre, s’éloigne à la fois du genre « noir » et du charme vénéneux de son prédécesseur : pas d’enquête, pas d’amour mortifère, ni de policier chevaleresque. On est plutôt dans le brutal et l’austère que dans le sentimental et, malgré une fin un brin conventionnelle, le film déploie un dilemme moral sous forme de rédemption, thème hollywoodien classique, avec des résonances psychanalytiques.
- © 1950, renouvelé 1977 Twentieth Century Fox Film Corporation. Tous droits réservés.
Dana Andrews incarne le héros du titre, un héros sombre, mal vu d’à peu près tout le monde, et qui cumule les plaintes contre lui. De sa vie on ne saura presque rien dans un premier temps, puisqu’elle semble se résumer à son travail dans lequel il met une hargne peu commune ; il vit à l’hôtel, sans attaches, obsessionnellement attiré par un gangster, Scalise, et passe une grande partie du métrage sans desserrer les dents, donnant à Andrews l’occasion d’une remarquable composition, toute de retenue. Tout bascule quand il tue accidentellement un suspect et que peu après il rencontre Morgan, la sublime Gene Tierney : soit presque simultanément les deux abîmes, le mal et le bien, l’enfer et le paradis, la tentation de la dissimulation et celle du rachat. On s’en doute : le choix sera positif dans une optique morale, mais il passe par différentes strates masochistes et suicidaires qui manquent de faire de lui une victime expiatoire. Preminger filme Andrews presque en continu, le traquant de sa caméra aux travellings d’une fluidité sans faille et il prend soin, au moment où Dixon écrit sa lettre confession, de braquer sur lui un éclairage très cru. Il sculpte d’ombres et de lumières un visage torturé, abîmé, quasiment doloriste.
- © 1950, renouvelé 1977 Twentieth Century Fox Film Corporation. Tous droits réservés.
Mais cet itinéraire, répétons-le essentiellement moral, trouve une explication dans la dernière partie du film et, comme beaucoup de motifs, celle-ci est double : le passé de Dixon (son père bandit) donne à la fois le sens de son engagement et celui de sa haine : Scalise avait « mis le pied à l’étrier » de son père. Esprit de vengeance, refus d’un héritage honni, mais aussi volonté de tuer ce père de substitution qui incarne tout ce qu’il hait, et ce qu’il pense pouvoir être. Le film insiste d’ailleurs sur la répétition : « tel père, tel fils » pour Dixon, rencontre de deux « vauriens » pour Morgan, comme un engrenage impitoyable. De ce point de vue, les dialogues sont redoutables de double sens et d’ironie, quand la restauratrice ou le père de Morgan vantent la droiture du détective, ou quand lui-même évoque ce dernier en parlant en fait se son cas.
- © 1950, renouvelé 1977 Twentieth Century Fox Film Corporation. Tous droits réservés.
Au passage, Mark Dixon, détective fourmille de petits détails significatifs qui attirent peu le regard : ainsi, quand le protagoniste passe la nuit au poste de police, des photos de boxeurs sont-elles accrochées au-dessus de lui ; la vie est un combat, mais la photo qui surplombe sa tête représente un KO. De même, la ville nocturne apparaît-elle fréquemment comme un décor découpé par des fenêtres ou des vitres, ombre menaçante et figée.
- © 1950, renouvelé 1977 Twentieth Century Fox Film Corporation. Tous droits réservés
Assurément, ce film est moins immédiatement séduisant que Laura : plus âpre, plus tendu, il se concentre sur l’intrigue en se permettant peu de respirations : un repas et les commentaires ironiques de la restauratrice, une promenade souriante, c’est à peu près tout. Ramassé, rigoureux, haletant, il a quelque chose d’une épure formellement impeccable qui le hisse à un très haut niveau.
Le Blu-ray
Belle édition, pour une œuvre totalement inconnue.
Les suppléments :
Mis à part la bande-annonce d’époque, le Blu-ray contient deux bonus : un documentaire très américain sur Gene Tierney, c’est à dire à la fois factuel et hagiographique (52mn), et le regard admiratif de Peter Bogdanovich sur Preminger (33mn). On trouvera certes quelques perles (des extraits de l’autobiographie de l’actrice, la bande-annonce d’Autopsie d’un meurtre), mais tout cela reste assez convenu. Un luxueux livret de 60 pages accompagne le coffret : il fait la lumière sur de nombreux points (les rapports avec Zanuck, les liens avec le roman d’origine, la réception du film) ; le texte en est précis, et les photos qui l’entourent magnifiques.
L’image :
La restauration a fait merveille : pas un défaut, des nuances de gris proprement soyeuses, un léger grain conservé, des contrastes et un piqué admirables.
Le son :
Beaucoup de finesse dans les dialogues, aucun parasite ni bruit de fond : la piste DTS Master Audio Mono 1.0 redonne chaleur et brillance à la bande-son. Pas de VF.
– Sortie du combo Blu-ray + DVD : 4 avril 2018
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