Le 27 janvier 2025
Après Jackie Kennedy et Diana Spencer, deux figures de femmes absorbées dans la mythification, Pablo Larraín sauve Maria de La Callas. Un pur opéra vivant d’une beauté confondante.
- Réalisateur : Pablo Larraín
- Acteurs : Angelina Jolie , Valeria Golino, Pierfrancesco Favino, Kodi Smit-McPhee, Alba Rohrwacher, Vincent Macaigne, Haluk Bilginer
- Genre : Drame, Biopic
- Nationalité : Américain
- Distributeur : ARP Sélection
- Durée : 2h04mn
- Date de sortie : 5 février 2025
- Festival : Festival de Venise 2024
L'a vu
Veut le voir
Résumé : La soprano américano-grecque Maria Callas se retire à Paris après une vie glamour et tumultueuse aux yeux du public. Dans ses derniers jours, la diva s’interroge sur son identité et sa vie.
Critique : Après Jackie, sur la First Lady Jackie Kennedy, et Spencer, sur la princesse de Galles Diana Spencer, le Chilien Pablo Larraín adopte une démarche similaire. En effet, il s’empare de cette autre figure mythologique contemporaine qu’est Maria Callas, la plus acclamée des cantatrices de l’histoire de l’opéra classique. Il clôt ainsi sa trilogie du féminin blessé, tout en continuant son geste de déconstruction du genre du biopic, en s’éloignant de l’hagiographie pour tenter d’offrir au spectateur une expérience sensitive, au cœur de la tempête intérieure que traverse son personnage féminin. Maria, à l’instar de Jackie ou Diana, a demeuré dans la mémoire collective comme un corps sans voix et sans histoire. Sa postérité, passée par ses performances lyriques dont la voix, quasi irréelle, fut l’une des premières à être documentée, filmée et enregistrée, autant que par les multiples photographies et clichés à la volée dont elle fut un sujet dépourvu d’agentivité, nous a empêché de prendre conscience de son effacement, son absorption dans l’arrière-monde. Elle qui toute sa vie n’aura de cesse de revêtir des rôles d’opéra iconiques comme Violetta, l’héroïne de La Traviata de Giuseppe Verdi, ou encore Médée dans l’œuvre éponyme de Luigi Cherubini, s’est peu à peu enfoncée dans une image figée dans le temps, une sorte de chimère, un trompe-l’œil qui dissimulait mal le gouffre intime qu’elle endurait derrière le rideau qui la séparait du public. Cette fabrique implacable de la mythification, cette évocation biaisée de la réalité dévorant les âmes, dans un geste de fictionnalisation du monde, Pablo Larraín en a fait le cœur névralgique de son cinéma. Déjà, dans Jackie, il apposait une incarnation sur les mystères et les douleurs de la First Lady, qui recouvrait consciemment son chagrin suite à l’assassinat de président Kennedy, en édifiant le cortège funèbre de son mari comme la première pierre de sa légende, laissant délibérément la télévision et la presse écrite s’approprier sa tragédie intime pour créer le grand récit national des États-Unis. Larraín continuait sa réflexion sur la représentation avec Spencer qui montrait la princesse Diana comme une image consciente d’en être une, enfermée comme Jackie Kennedy dans un espace mental figurant son désert relationnel, que ce soit la Maison-Blanche ou ici Sandringham House, s’évertuant à s’auto-mutiler pour fêler son propre simulacre, sa vie étant devenue une imitation altérée du réel. Maria Callas, écrasée par le fardeau d’un mythe qui la dépasse, est pour Pablo Larraín l’aboutissement d’un geste de réévaluation de l’histoire des femmes à l’aune de l’absolutisme délétère des images, dans une logique de déréalisation.
- Copyright Pablo Larraín
Pablo Larraín et son scénariste Steven Knight, déjà à l’œuvre sur Spencer, composent sur Maria une errance désenchantée, désacralisée, se concentrant sur la dernière semaine de la Callas, jusqu’à sa mort le 16 septembre 1977, le film s’ouvrant sur le corps sans vie de la cantatrice, allongée sur le parquet du salon, scrutée et décortiquée comme une œuvre d’art impénétrable par les médecins légistes. S’ensuit une succession de fausses images d’archives en super 8, créés pour l’occasion avec l’interprète Angelina Jolie, nous remémorant les grands moments de la vie de Maria Callas, notamment sa relation avec Aristote Onassis, avant de la voir brûler ses plus beaux habits d’apparat qui ont tant contribué à son iconisation lors de ses représentations, comme une manière de radier sa propre image pour retrouver son Moi véritable. Pablo Larraín va tout du long du film jouer sur cette ambiguïté, cette dissonance, entre la gloire passée de Maria, représentée à travers un montage heurté nous empêchant d’apprécier sa grandiloquence légendaire, et le présent où Maria essaie de retrouver sa voix d’antan en se martyrisant intérieurement. Tourné majoritairement en Super 16 et en 35 mm, le film situe la cantatrice dans une atmosphère teintée de désolation, dans ce Paris fantomatique, figurant à merveille toute la perdition de la Callas, errant dans les cafés et restaurants comme un feu follet pour être adorée comme une divinité religieuse. D’ailleurs, la ligne de narration du film, chapitré par des claquements d’ardoise, à la manière d’un reportage voyeuriste, intitulé grossièrement "La Callas : the last days", et mené par un interviewer dénommé Mandrax, en réalité une projection mentale de Maria réunissant symboliquement tous les hommes de sa vie, accentue cette sensation d’enfermement psychologique, semblable à une pièce de théâtre filmée. Car avant d’être la prima donna, Maria fut d’abord un objet de désir, que ce soit avec Aristote Onassis, la considérant davantage comme un trophée à rafler qu’une artiste accomplie, un demi-dieu damné qui la forcera à avorter ou, plus loin encore, quand elle chantait, encore adolescente, dans la Grèce occupée, devant un soldat nazi pour éviter à sa sœur les sévices sexuels. Sa vocation, elle aussi, est née dans la douleur et le regard masculin. Cette interview, cette antichambre de la mémoire, Maria essaiera de la tordre jusqu’à son point de rupture, où, par la puissance de sa voix, elle s’accomplit en annihilant le spectacle, décimant ses fantômes. La mort a perdu, l’espace d’un instant, et le public est ébahi face à l’ascension ; et de l’autre côté de l’écran, nous aussi. La Callas n’est plus, Maria est née.
- Copyright Pablo Larraín
Maria est moins un film sur la sénescence que sur la naissance. Pablo Larraín dit la métamorphose, douloureuse et furieuse, de la Callas, loin de la diva neurasthénique ; bien au contraire, nous assistons à l’odyssée mentale, un pèlerinage vers la lumière, d’une artiste dans un monde qui, ivre d’images, ne fait qu’aspirer la beauté pour la phagocyter, car être une femme, c’est être en représentation. Après Jackie Kennedy et Diana Spencer, deux figures de femmes absorbées dans la mythification, précisément enfermées dans une image, Pablo Larrain sauve Maria de la Callas en rendant une mémoire pénétrable et sensitive à l’image projetée de la plus célèbre cantatrice de l’histoire, longtemps épiée et étudiée comme un corps fantasmatique et intraduisible. Un pur opéra vivant d’une magnificence qui force le respect.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.