Le 5 décembre 2021
Porté par une mise en scène d’une beauté anagogique sidérante, Spencer est un miracle de cinéma où le cinéaste Pablo Larraín cortège Lady Diana dans un univers à mi-chemin entre la douce étrangeté et le conte de fées funeste où la fantasmagorie côtoie la psychanalyse.
- Réalisateur : Pablo Larraín
- Acteurs : Timothy Spall, Sean Harris, Kristen Stewart, Sally Hawkins, Jack Farthing
- Genre : Drame, Biopic, Thriller, Drame fantastique, Drame historique
- Nationalité : Américain, Britannique
- Distributeur : Amazon Prime Video
- Durée : 2h05mn
- VOD : Amazon Prime Vidéo
- Date de sortie : 17 janvier 2022
- Festival : Festival de Venise 2021
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Résumé : En 1991, Diana s’apprête à passer les vacances de Noël avec la famille royale, consciente que son mariage avec le prince Charles est en plein effondrement. Cependant, elle est contrainte de continuer à jouer l’épouse parfaite. Pendant que tout le monde pense passer des fêtes habituelles, Diana, elle, est piégée dans un rôle et n’a plus qu’un seul objectif : se protéger ainsi que ses deux fils, William et Harry.
- Copyright Pablo Larraín, DCM
Critique : Près de cinq ans après avoir réinventé le genre même du film biographique avec Jackie, réflexion idéologique sur le rapport aux images, et chronique désabusée sur la figure spectrale de Jackie Kennedy, où Natalie Portman brillait de mille feux, le réalisateur chilien Pablo Larraín revient traiter une figure historique féminine universellement adulée, demeurant l’une des personnalités les plus fascinantes de la monarchie britannique, Lady Diana Spencer. Retraçant pas à pas l’épineux rite initiatique d’une ingénue dans un monde anti-réformateur, Spencer relève moins du portrait iconographique que de l’instantané élégiaque. Avant d’être la future reine consort d’Angleterre, Diana est surtout une jeune fille décontenancée, découvrant un tout nouvel univers où chacun juge l’autre sans aménité. Fiancée au prince Charles, qui l’humilie autant qu’il la délaisse, elle est rapidement lassée par ses devoirs officiels, s’évadant avec ses deux fils dans une réalité alternative où elle pourrait s’épanouir comme elle l’entend et réinventer un monde à elle. C’est bien là la tragédie de sa vie. C’est précisément à ce moment que Spencer s’affranchit de toute référence hagiographique et touche au sublime. Le spectateur est prévenu dès le prologue : Spencer n’a aucunement l’intention de coller à la réalité historique. Pablo Larraín et le scénariste Steven Knight composent une fable désenchantée, ponctuée de séquences oniriques qui contaminent peu à peu le long métrage. L’ambition de Larraín est de métamorphoser le concept du biopic classique car, passée l’évocation lointaine de ce week-end de Noël 1991 à Sandringham House, Spencer bascule dans le thriller psychanalytique. En cela, Diana ne nous a jamais paru aussi proche, désacralisée, demeurant finalement une souveraine à qui l’on a fait abandonner tout ce qu’elle connaît, contrainte à quitter sa famille, pour participer à un mariage arrangé avec un homme qu’elle n’aime pas, soumise à une vie tellement chargée de protocoles et dépourvue d’intimité qu’elle en devient aliénante, tout en voyant son corps être traité comme une marchandise pour sceller la succession de la maison Windsor et produire un héritier à la couronne. Le film, porté par une mise en scène d’une beauté anagogique sidérante, possède cette facilité à incorporer délicatement son spectateur dans un univers à mi-chemin entre la douce étrangeté et le conte de fées perverti, semblable à l’œuvre célèbre de Lewis Caroll. Mais Larraín s’émancipe de ces influences pour élaborer un récit à tiroirs où nos convictions sur la princesse déchue se muent peu à peu en une fascination presque inconsciente. Le réalisateur manie parfaitement la tension graduelle et le fantasmatique tandis que la photographie sépulcrale de Claire Mathon, la composition musicale de Jonny Greenwood, les décors perdus dans les limbes, et l’utilisation méticuleuse de l’anormalité, élèvent Spencer au rang d’œuvre maîtresse de la filmographie de Larraín.
- Copyright Pablo Larraín, DCM
D’emblée, le cinéaste arrive à insuffler à son long métrage une atmosphère putride et particulièrement nauséeuse dès les premiers instants, tandis que la paranoïa s’installe peu à peu chez le spectateur, faisant corps avec l’héroïne alors en plein désarroi. Spencer déploie son récit dans un royaume perdu dans le temps et l’espace, peuplé de figures fantoches et de palaces abandonnés où les salles de réception semblent être devenues des vestiges d’un ordre mondial à l’agonie. Le spectateur peut dès lors s’amuser à déceler à son aise la fabuleuse entreprise scénographique du réalisateur et se l’approprier suivant son degré d’affinité avec le parti pris, aussi radical soit-il, choisi ici. Quel que soit le format d’image calfeutrant sa protagoniste dans son propre tombeau, le travail d’orfèvre accordé à la photographie qui confère au cadre une atmosphère lancinante du plus bel effet, le jeu d’acteur ne s’échouant jamais dans la prestation démonstrative ou la disposition minutieuse de chaque détail, du mobilier victorien à la fenêtre craquelée laissant entrevoir l’espoir évanoui, Spencer se vit comme une expérience inédite, un cauchemar éveillé sans possibilités d’échappatoires, qui sonne comme un déchargeoir émotionnel malaisément ineffaçable. Le film joue sur la retenue avec sa palette de teintes utilisées afin d’instaurer une ambiance atypique ; il se dégage de cet univers sombre une rare beauté sinistre, sublimée par un travail plus marqué sur la profondeur de champ et le placement des comédiens. Il est difficile de poser des mots tant l’impression véhiculée laisse le spectateur en état de stase, incapable d’appréhender ce qui était montré. Larraín, conscient de son talent, vient tout juste de pousser les barrières du drame psychologique moderne en emmenant le genre vers des terrains nouveaux. Troquant le thriller psychanalytique pour une plus ample exploration de la dépression chronique, Spencer cortège son héroïne d’un univers estropié jusqu’à la sublimation dans un final doux amer qui nous hante longtemps après le visionnage. Puissamment symbolique, le métrage est une anomalie cinématographique où chacun a su se dépasser sur le plan créatif pour donner naissance à quelque chose d’unique et infiniment précieux. Il s’agit là du plus bel hommage que l’on aurait pu avoir à celle qui deviendra le mythe de toute une génération.
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