Marguerite et Julien - Valérie Donzelli - critique

Critique : En sus de son côté pailleté et cruel mâtiné de douces espiègleries, le cinéma de Valérie Donzelli partage avec celui de Jacques Demy un même attrait pour les paradoxes. De La Reine des pommes à Marguerite et Julien, il a certes toujours été question d’amour dans cet univers filmique. Mais jamais cependant sans son corollaire, douleur inextinguible et inéluctable. Ainsi, le sentiment amoureux, pour l’un et l’autre, irait de pair avec le malheur – de la peine à la mort. L’on pourrait poursuivre le rapprochement en évoquant les films de François Truffaut, lui qui avait initialement commandé le scénario de Marguerite et Julien à Jean Gruault. Mais à la différence du réalisateur de L’Histoire d’Adèle H., Valérie Donzelli a malicieusement inversé les prénoms des deux amants maudits. Ce ne sera donc pas Julien et Marguerite de Ravalet – frère et sœur qui s’aimèrent devant l’impossible jusqu’au début du 16e siècle – mais Marguerite et Julien. Un peu comme s’il s’agissait de conjurer la haine rentrée que Truffaut ressentait à l’égard des femmes, la faute notamment à cet adultère qu’il n’aura jamais pardonné à sa mère.

@ Wild Bunch Distribution

Toutes les mimiques de Valérie Donzelli sont bien là, dans Marguerite et Julien, nouvelle ode à la fantaisie. Le film s’ouvre sur les deux amants au bord de la mer, tandis que les pales d’un hélicoptère balafrent le ciel. L’on se dit alors que le récit inspiré des amants Ravalet va prendre racine dans un monde contemporain. Puis non, les plans s’emballent et présentent l’histoire comme un conte relaté un soir de veillée depuis un dortoir de jeunes filles. Couple légendaire, Marguerite et Julien semblent à leurs yeux refléter tout un horizon de possibles. Le film va s’attacher ensuite à dépeindre la relation défendue entretenue par le frère et sa sœur. Leur amour apparaît comme quelque chose d’inné. Attendris par cette affection mutuelle, leurs parents ne s’en formalisent étonnamment pas, et y voient là les racines d’un bel amour fraternel. Une situation qui embarrasse toutefois leur oncle, abbé de Tourlaville, qui perçoit très vite le caractère défendu de leur relation. Les deux amoureux sont séparés : Julien est envoyé aux quatre coins de l’Europe pour ses études pendant dix ans, tandis que Marguerite reste confinée au château. Malgré les années, leur passion ne fait que s’accentuer. Et le château des Ravalet de nouveau au complet est bientôt le théâtre de nouveaux jeux interdits, cette fois pris sur le fait. Situation qui ne manque pas de faire scandale et remonte jusqu’aux oreilles des nombreux prétendants de Marguerite…

@ Wild Bunch Distribution

Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, Marguerite et Julien ne cherche pas l’irrévérence, si ce n’est exposer quelques dilemmes moraux. De même, cette histoire peut-être un brin sulfureuse pourrait difficilement choquer le monde d’aujourd’hui, bien que l’inceste soit toujours évidemment réprimé par la loi. Non, Valérie Donzelli cherche surtout à exprimer comment l’amour sort parfois irrépressiblement de ses gonds. Même s’il considère ses enfants comme perdu au regard de Dieu, le père Ravalet et sa femme ne peuvent s’empêcher d’y voir là la traduction d’une passion maladive. Conscient du caractère impérieux de cette dernière, la mère va accepter de se séparer de ses enfants pour leur permettre de vivre leur union, ne serait-ce que l’espace d’un instant. C’est le début d’une folle échappée dont l’enjeu principal, à la fois en matière de mise en scène et de symbolique, est de réinscrire cet amour jugé anormal et amoral en tant que partie intégrante de l’ordre naturel du monde. La vie de Marguerite et Julien est alors indissociable de la forêt, et même leur sexualité, devenue bestiale, se réapproprie le monde à même la terre. C’est sans doute grâce à cette nature retrouvée que le duo échappera quelque temps plus tard au flair des chiens, devenus insensibles à leur présence.

Photographié avec soin et volupté, Marguerite et Julien est un film agréable sans être exceptionnel, qui se place sans aucun doute parmi les meilleures réalisations de Valérie Donzelli. Les jolis anachronismes, comme l’appareil photo, la Mustang, l’hélicoptère, le micro ou encore les lampes torches rappellent avec nostalgie au souvenir de Peau d’âne. Tandis que l’aspect un peu graphique de l’ensemble conforte dans cette dynamique de conte moral, avec son château, son prince, sa princesse, son ogre et ses péripéties sordides. Mention spéciale, enfin, pour la scène finale, petit monument expérimental teinté de grâce mélancolique.