Labyrinthe de sensations
Le 3 novembre 2010
Rintarô, Kawajiri, Ôtomo : trois maîtres de l’animation pour un chef-d’œuvre.
- Réalisateurs : Katsuhiro Ōtomo - Rintaro - Yoshiaki Kawajiri
- Acteurs : Hideko Yoshida, Hiroshi Ohtake, Yuu Mizushima
- Genre : Science-fiction, Fantastique, Animation
- Nationalité : Japonais
- Date de sortie : 25 septembre 1987
- Plus d'informations : Dybex
L'a vu
Veut le voir
– Durée : 50mn
– Titre original : Meikyû monogatari
Rintarô, Kawajiri, Ôtomo : trois maîtres de l’animation pour un chef-d’œuvre.
L’argument : Trois réalisateurs, trois histoires distinctes, trois mondes complètement différentes : Labyrinthe où une jeune fille et son chat découvrent un monde clownesque ; Le Coureur est une histoire de courses automobiles ;Arrêtez le travail dans lequel un ingénieur doit faire face à la grève de robots.
Notre avis : Totalement inconnu du grand public et distribué en DVD il y a seulement deux ans de cela, soit 21 ans après sa sortie nippone, Manie Manie est un omnibus japonais de 50 minutes, une œuvre inclassable, à des millénaires des productions animées internationales qui lui ont succédé. Fascinant avant même son visionnage, car profitant de l’aura actuel des éternels studios Madhouse qui produisent (et responsable de bien des merveilles, parmi lesquelles Vampire hunter D : Bloodlust, La traversée du temps ou bien encore tous les chefs-d’œuvre de Satoshi Kon), Manie Manie marque aussi les débuts de Katsuhiro Ôtomo au cinéma. C’est également une étape significative dans le parcours de deux autres génies absolus de l’animation : les grands Rintarô et Yoshiaki Kawajiri.
Trois courts-métrages le composent, sans logique ou continuité thématique. Trois réussites intégrales. Manie Manie : Les histoires du labyrinthe (le nom complet du recueil) ne manquera jamais d’interpeller son spectateur sur ce à quoi il assiste. C’est à plus forte raison avec Labyrinthe, sketch introductif du projet, que cet état de fait prend toute son envergure. La lourde charge d’ouvrir le bal revient donc à Rintarô (Metropolis), qui livre par la même occasion le segment le plus envoûtant de cette trilogie. Un film audacieux, perturbant et énigmatique qu’il est difficile d’analyser tant sa valeur semble se trouver dans les émotions qu’en retire celui qui le voit. Car s’il conte l’aventure d’une petite fille qui cherche son chat avant de passer avec lui au travers d’un miroir, Labyrinthe est finalement une œuvre mentale et abstraite qu’il convient de ne pas rationaliser. Peut-être est-il question de temps, comme le prouvent l’horloge et le nom du cirque présenté (« Le tour du cadran »), d’imaginaire (le chapiteau se situe « rue du chat »), mais éventuellement aussi de tant d’autres choses. Un guide bizarre aux allures de clown qui dirige la gamine et son animal, un univers illogique où un chien invisible peut côtoyer des fantômes et des êtres silencieux qu’on ne peut définir, une bande-son noyée dans la perfection (et quasi-muette en terme de dialogue) ou une animation exceptionnelle mêlant de façon harmonieuse impressionnisme et expressionnisme : au fond, peu importe que la narration nous embarque où elle le veut. Labyrinthe est une expérience sensorielle intense, dont la trop courte durée ne fait que contribuer à un concert d’éloges quant à son existence même (combien peuvent procurer tout cela en seulement dix minutes ?). L’ouverture de rideaux annonçant la seconde partie du festin est frustrante et empêche tout questionnement : en considérant sans le moindre recul ce que l’on vient de voir, il est impossible de prévoir la nature de ce qui va suivre. Et au final, inutile.
L’Homme qui courait nous donne vite raison. Les battements de cœur qui nous accueillent par des sons puissants sont ceux de Zack Hew, pilote participant au Death Circus, sorte d’alternative hardcore à un Speed racer, dont il est le recordman des victoires. Moins abstrait dans sa mise en scène (on reconnaît bien là l’énergie du réalisateur de Ninja scroll) que le court-métrage qui le précède, le paradoxe naît du fait que les intentions de Kawajiri apparaissent incohérentes avec son sujet. La narration volontairement lente, ce qui ne phagocyte en aucun cas son dynamisme, trouve mal une justification à l’aune d’enjeux peu explicites : comme l’attestent de multiples détails, le cinéaste a ici de réelles ambitions scénaristiques dont il semble péniblement s’accommoder. L’Homme qui courait est pourtant une œuvre complexe que des visionnages successifs devraient pouvoir éclaircir : peu claire, mais parcourue d’éléments qui non seulement font la part belle à la psychologie de son personnage (son obsession de la victoire, ses actes en fin de film, pouvoirs psychiques...), mais qui laissent supposer un sens caché. Au-delà de ces quelques nuances, Kawajiri insuffle à son animation une force certaine à l’imagerie SF intéressante, donnant lieu à de spectaculaires accidents de course et à des morts de pilotes résolument violentes. Bref, tout cela constitue certes le passage le moins génial de Manie Manie, le moment demeure mystérieux et passionnant à bien des égards.
Arrêtez les travaux ! propose Katsuhiro Ôtomo pour le troisième et dernier court. C’est également ce que demande le personnage principal du métrage à des robots détraqués chargés de construire une cité. Ce à quoi ceux-ci répondront par la négative sous l’autorité d’un chef de chantier mécanique aussi déglingué qu’eux. Il ne faut pas longtemps à l’auteur du fondamental Akira pour développer ses propos. Sous couvert d’un humour noir instituant autant le contexte dépeint (des machines se tuent littéralement au travail à cause... du stress !) que les fonctions mêmes de son unique avatar humain forcé à la répétitivité des tâches, Arrêtez Les Travaux ! tend à élaborer un constat brutal sur une automatisation absurde de la main d’œuvre. Tant et si bien que dans cette unité de lieu située en pleine nature, l’apocalypse gagne chaque jour du terrain. L’occasion pour Ôtomo de mettre en exergue l’inventivité visuelle qui lui est propre (et décuplée dans ses longs-métrages suivants), au détour de destructions matérielles continues et de prolongements narratifs brillants (le robot principal relié à un système encore plus complexe et imposant que lui, le déjeuner du fonctionnaire...). On assiste ici au segment le plus terre-à-terre du recueil -toutes proportions gardées- et dont le plaisir est moins procuré par son atmosphère que par son sujet à proprement parler. Drôle et intelligent, voilà qui en fait une conclusion parfaite pour une trilogie qui ne l’est pas moins.
Vous l’aurez compris, Manie Manie est une œuvre atypique et étourdissante dont la grandeur annonçait déjà, une année seulement avant la bombe Akira, les prémices d’un intérêt mondial grandissant envers une production animée japonaise résolument adulte. Il s’agit tout simplement d’un indispensable.
La bande-annonce : ICI
Galerie Photos
Le choix du rédacteur
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.