Souvenirs souvenirs
Le 16 juillet 2022
L’animation japonaise dans ce qu’elle a pu créer de meilleur. Tout simplement indispensable.
- Réalisateurs : Katsuhiro Ōtomo - Kōji Morimoto - Tensai Okamura
- Genre : Comédie, Science-fiction, Animation, Politique
- Nationalité : Japonais
- Distributeur : Eurozoom
- Durée : 1h53mn
- Reprise: 24 août 2022
- Titre original : [メモリーズ] (Memorîzu) : Magnetic Rose [彼女の想いで] / Stink Bomb [最臭兵器] / Cannon Fodder [大砲の街]
- Date de sortie : 15 avril 1997
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– Année de production : 1995
Résumé : Trois petites histoires composent "Memories". Dans la première, "Magnetic Rose", deux voyageurs de l’espace sont aspirés dans un monde parallèle sur un astéroïde. Un monde créé par les souvenirs d’une femme. Dans "Stink Bomb", un jeune assistant dans un laboratoire se transforme accidentellement en une arme biologique humaine qui menace Tokyo. L’épisode final, "Cannon Fodder", relate un jour de la vie d’une ville qui a pour unique préoccupation d’anéantir ses ennemis.
Critique : Compilation de trois courts-métrages entièrement supervisée par Katsuhiro Ōtomo, Memories est une production majeure dans l’histoire de l’animation. À l’image de Manie-Manie, dont le cinéaste japonais dirigea d’ailleurs une partie, Memories entreprend d’adopter un ton résolument adulte dans le brassage de thèmes qu’il effectue. En adaptant Kanojo no Omoide, son propre manga, Ōtomo confie la réalisation de deux des trois segments à Kōji Morimoto et Tensai Okamura, avant de se charger lui-même du troisième en guise de conclusion. Coup sur coup poétique, absurde et pessimiste, voilà une merveille à mettre en toutes les mains. L’anthologie va même jusqu’à débuter par son chef-d’œuvre. Projet le moins abordable du lot, Magnetic Rose n’en est pas moins un authentique spectacle visuel doublé d’un bouleversant questionnement sur la notion de souvenir. Corolaire inévitable de son génie, il est peu aisé de parler concrètement d’une œuvre qui ne dévoilera ses intentions thématiques que dans son dernier quart d’heure, tout en multipliant les révélations nécessaires à sa compréhension. Pour autant, ce qui se transformera à terme en une expérience sensorielle jouit dans l’absolu d’un postulat de départ simple, dont les bases diégétiques sont communes à n’importe quel film de science-fiction.
- © Eurozoom
Nous sommes en 2092, à bord du Corona, vaisseau spatial dont le rôle est de nettoyer la galaxie des restes d’engins obsolètes. À l’intérieur, des « éboueurs de l’espace », comme ils se nomment eux-mêmes, dont le retour à bon port va être perturbé par la réception d’un SOS auquel ils devront répondre. Un appel au secours atypique puisqu’il prend la forme d’un chant d’opéra, et dont l’origine se situe dans un cimetière d’épaves. Magnetic Rose est la seule histoire du trio à ne pas être scénarisée par Ōtomo, et cela se voit. Son créateur n’est autre que Satoshi Kon, qui n’était alors pas encore l’immense artiste aujourd’hui reconnu et pleuré (il est décédé en août 2010) par le monde du cinéma. Ce qui ne l’empêchait pas déjà d’afficher une véritable propension à réduire la frontière entre virtuel et réalité, aussi moindre soit-elle que dans ses futurs longs-métrages. Il est à ce titre intéressant de constater que cet univers factice dans lequel débarquent les cosmonautes s’avère être la demeure d’une cantatrice du début du XXIe siècle, surnommée « la diva du siècle » ; l’analogie est toute trouvée avec Millenium Actress, monument absolu d’animation que Satoshi Kon réalisera six ans après Memories. Dans les deux cas, le passé des héroïnes contaminera les personnages qui les fréquentent au point de faire vaciller les références du spectateur quant à ce qu’il croit être vrai ou non.
Dans Magnetic Rose, les hologrammes côtoient les vestiges d’une époque révolue que sa supposée propriétaire semble déterminée à conserver. Avant de se désagréger dans les mains des cosmonautes, vêtements ou nourriture auront gardé un aspect neuf, signe évident d’une volonté inébranlable à tromper le temps. À la manière de Solaris, ce gigantesque repère est un monde où les souvenirs prennent vie et absorbent ceux qui ne leur font pas face. Le récit dévoile ainsi que Kōji Morimoto, Satoshi Kon et Andreï Tarkovski ont tous trois en commun cette conviction selon laquelle il ne peut y avoir d’existence possible dans le passé. Ceux-ci guérissent les plaies : mais aussi rassurants soient-ils, il convient de les affronter ou d’en faire le deuil pour ne pas tomber dans la folie. Dans l’élaboration de ce constat, la mise en scène de Morimoto orchestrera un maelström de sensations qui ne doit pas être analysé, puisque comme dans le cas des souvenirs, c’est l’intime qui accordera sens et importance. Magnetic Rose est une œuvre mentale, elle ne se discute pas.
- © Eurozoom
A contrario, Stink Bomb prend la relève dans un objectif évident de divertissement. Cette partie réalisée par Tensai Okamura constitue le point d’équilibre de Memories, et permet de souffler un peu après la réflexion suscitée par ce qui l’a précédé. Ici, un employé de laboratoire pharmaceutique dégage une odeur étouffante après avoir avalé ce qu’il pensait susceptible de soigner un rhume tenace. Devenu une bombe puante vivante, celui-ci ignore qu’il est responsable des syncopes (ou des morts, nous ne le saurons pas) provoquées par ses effluves, et va se voir pourchassé par des forces armées décidées à protéger ses citoyens. De cet argument invraisemblable, Ōtomo tirera une gigantesque farce burlesque d’une noire ironie. Bien aidé par Okamura, qui prend un malin plaisir à traduire visuellement l’hécatombe que l’auteur d’Akira met en place, Stink Bomb dresse, au fur et à mesure du déploiement de son intrigue, un constat amer sur un militarisme grotesque qui cause plus de dégâts que ce qu’il n’en évite, tout en cultivant un égo qui se refuse à toute assistance étrangère.
Bien que prégnant, ce point de vue reste au service d’un comique de situation irrésistible qui se développera jusqu’à la démesure. Animaux comme humains, la puanteur accrochée au personnage détruit tout ce qu’elle approche, à l’exception de vallées qui fleurissent en plein hiver. Ainsi est-il amusant de voir tanks et chars fuir le petit homme en bicyclette qui leur court après, persuadé qu’il est d’être le seul survivant d’on ne sait quelle gueulante de mère Nature. Hélas, l’effet d’hilarité s’amenuise à force de répétition, d’autant plus que le bonhomme est un idiot patenté, tête à claques de surcroît. Le voir faire le contraire de ce qui lui est demandé énerve, tout autant que son absence de réaction intellectuelle face à des gens qui s’écroulent en sa présence. Mais à côté de ça, Tensai Okamura communique très facilement le plaisir qu’il a à mettre brillamment en scène une apocalypse qui prend progressivement une ampleur inimaginable. Porte-avions, avions de chasse, hélicoptères, missiles... Stink Bomb est une récréation visuelle totale où les explosions aussi spectaculaires les unes que les autres se succèdent sans coup férir. Tout cela pour un laborantin sur un vélo. Sans aucun doute, un récit que n’aurait pas renié le Kubrick de Docteur Folamour.
- © Eurozoom
Deux fois moins long que les précédents, Cannon Fodder conclut l’omnibus. Cette fois-ci, Katsuhiro Ōtomo reprend les commandes, et situe son segment dans la lignée du second. Narrant la journée d’un père et de son fils dans une ville en pleine guerre, Cannon Fodder impose un point de vue antimilitariste avec un pessimisme absolu. À la manière des toits des habitations, tous dotés d’un canon orienté vers la même direction, le court-métrage dépeint dans le cadre une menace que l’on ne voit pourtant pas, au détour d’un unique plan-séquence d’une vingtaine de minutes. Ceci afin d’imprégner une certaine continuité aux faits du quotidien et par extension, d’accentuer leur évidente répétitivité. En montrant des dizaines d’employés effectuer le chargement d’un canon par des manipulations précises ne semblant tolérer aucun écart de comportement, Ōtomo dénonce les rouages d’une guerre si bien huilée qu’elle en perd le moindre sens.
« Tu comprendras quand tu seras plus grand », répondra le père quand son fils lui demandera l’identité de l’adversaire ainsi bombardé. Celui-là même représenté par un horizon totalement vide, au détour d’un plan aérien qui assimilera plus tard les nuages à la fumée des tirs d’obus. Ou l’absurdité d’un conflit contaminant les vies jusqu’à l’excès (la ville abrite une « gare du canon », la télévision diffuse les aventures de « la famille canon »...).
Bref, une conclusion étonnamment sombre à l’aune du long-métrage qu’elle clôt. Dans sa diversité, Memories concentre malgré tout en son sein tout ce qui fait l’essence d’une japanimation aujourd’hui reconnue. L’utilisation d’un médium à des fins purement cinématographiques, où la puissance d’évocation des images donne un sens à des questionnements qui ne sauraient se contenter d’être intellectualisés. Cela même qui constitue la richesse de ce recueil.
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