Mais qui a tué Harry ? - Alfred Hitchcock - critique

Critique : Mais qui a tué Harry  ? est certainement l’un des films les plus méconnus d’Alfred Hitchcock. À sa sortie en 1955, alors que le réalisateur vient de livrer d’importants succès tels que Fenêtre sur cour ou Le crime était presque parfait, le film reçoit un accueil mitigé, surtout aux États-Unis où la Paramount ne jugea même pas utile de le promouvoir. Aujourd’hui encore, nombreux sont ceux qui le considèrent injustement comme une œuvre mineure du cinéaste. Certes, le métrage est étrange, à la fois pour ce qu’il est (une comédie sortie de nulle part) et pour ce qu’il représente dans la filmographie de son auteur (un film à la fraîcheur inédite). Mais là repose évidemment tout son charme.
Car aussi étonnant que cela puisse paraître, Mais qui a tué Harry  ? n’est nullement un thriller, comme son titre semble l’indiquer, mais bien une comédie. Le ton, théâtral, est délibérément absurde. L’histoire, elle, est simple mais surprenante, et promet de nombreux rebondissements, tous aussi burlesques les uns que les autres  : le cadavre de Harry, découvert par différents passants se baladant dans une colline, va semer la zizanie dans le village situé à proximité du lieu du drame. Qui a tué Harry  ? D’ailleurs, s’agit-il réellement d’un meurtre  ? Peu importe, car là ne repose pas l’intérêt du récit qui, par l’emploi d’un comique de situation savamment orchestré, ne cherchera jamais à répondre à ses propres interrogations. Au contraire, il ne cessera de les alimenter en déversant au fil des minutes un florilège de bizarreries qui ne fera qu’accroître son surréalisme. L’humour est macabre, presque transgressif, tant les personnages sont cyniques et distants. Même les tons clairs de la photographie (surement l’une des plus lumineuses du réalisateur) tranchent avec la noirceur d’un tel évènement - à savoir la découverte d’un cadavre. L’ensemble des scènes sont ainsi en décalage avec la réalité.
« J’ai tourné ce film pour prouver que le public américain pouvait apprécier l’humour anglais et cela n’a pas trop mal marché » affirme Hitchcock, non sans ironie, pour justifier un tel projet. En guise d’ultime canular, le cinéaste ose même saupoudrer son film d’une once de fantastique en laissant planer la possibilité de l’apparition du spectre de Harry – une porte ne cesse de grincer, comme si le cadavre, désormais absent de l’image, refusait sa piètre condition d’accessoire de scénario. Pas de doute  : Mais qui a tué Harry  ? transpire la plaisanterie, la provocation, voire la farce industrielle. Surtout, il nous rappelle que le maître du suspense disposait aussi du talent nécessaire pour réaliser une œuvre à l’humour décapant.