Fantômes absents
Le 14 septembre 2011
Hirokazu Kore-Eda s’affirme dès son premier film comme le digne héritier des grands maîtres qu’il admire dans ce poème élégiaque à la grâce rêveuse dénuée de solennité et à la fascinante beauté visuelle.
- Réalisateur : Hirokazu Kore-eda
- Acteurs : Tadanobu Asano, Makiko Esumi, Akira Emoto, Takashi Naitô, Mutsuko Sakura
- Genre : Drame
- Nationalité : Japonais
- Durée : 1h50mn
- Titre original : 幻の光 (Maboroshi no hikari)
- Date de sortie : 17 novembre 1999
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– Prix de la mise en scène au Festival de Venise 1995
Hirokazu Kore-Eda s’affirme dès son premier film comme le digne héritier des grands maîtres qu’il admire dans ce poème élégiaque à la grâce rêveuse dénuée de solennité et à la fascinante beauté visuelle.
L’argument : Yumiko est hantée par la mort de son premier époux et de sa grand-mère. Un jour, son nouveau compagnon lui parle d’un Maborosi, lumière sur la mer...
Notre avis : Déjà auteur du documentaire Kare no inai hachigatsu ga (1994), Hirokazu Kore-Eda signait en 1995 ce premier long-métrage de fiction dédié aux thèmes de la perte et du deuil mais qui n’a rien de la solennité d’une ode funèbre.
Maboroshi no hikariIl est parcouru au contraire du frémissement émerveillé qui accompagne la découverte sans cesse renouvelée de la beauté déchirante de la nature et de la fragilité d’une l’existence humaine menacée à tout moment par la disparition soudaine.
Plus encore que dans ses films postérieurs, l’auteur de After life et de Still walking refuse la psychologie (les dialogues sont minimalistes) tout comme la narration aristotélicienne, aucune crise ne venant précipiter le drame ni entraîner une quelconque catharsis. Il privilégie une splendeur contemplative, jamais figée mais propice au surgissement révélateurs qui donnent soudain au monde une épaisseur, une dimension nouvelle, comme lorsque le bruit d’un moteur de bateau nous fait prendre conscience de la présence insoupçonnée de la rivière derrière le quai de la gare où l’héroïne et son fils attendent le train. Il sait capter, dans des plans admirablement composés mais qui toujours respirent, les moments de bonheur fugace et l’attrait soudain du vide (le maboroshi, cet effet de lumière sur la mer attirant irrésistiblement le marin vers le large) qui troue la surface d’un quotidien paisible placé sous le signe d’une enfance perpétuelle.
Maboroshi no hikariCar les enfants sont omniprésents (le petit garçon espiègle et sa demie soeur à peine plus âgée, l’héroïne se remémorant ou peut-être rêvant la scène primitive du départ de sa grand-mère qu’elle n’a pas su retenir) mais, surtout, aucun des personnages ne semble avoir réellement renoncé à sa part d’enfance, ni la vieille dame inoxydable qui s’en va au petit matin pêcher les crevettes et réchappe de peu à la tempête (serait-elle immortelle ?), ni le premier mari incarné par un tout jeune Tadanobu Asano au sourire angélique qui, avant de céder à l’appel irrésistible du vide, dérobe sans état d’âme une bicyclette que le couple s’amuse à repeindre en vert, de nuit, dans la rue parce que c’est plus drôle (zut, la police !)
Car malgré le caractère foncièrement élégiaque de ce ce film aux vives couleurs et le calme désespoir qui, comme une eau souterraine montant doucement à la surface, l’envahit à plusieurs reprises, la tonalité de Maboroshi no hikari est légère, souvent même enjouée.
Pourtant la grâce aérienne et rêveuse peut laisser place à un lyrisme plus ample, presque opératique notamment dans la séquence, magnifique, consacrée à la fugue de l’héroïne :
Maboroshi no hikariune vertigineuse vue plongeante sur la route de corniche nous montre l’autobus qu’attendait la jeune femme s’arrêter un long moment. Le plan fixe se prolongeant après le départ du véhicule fait croire d’abord qu’elle est montée mais sa durée même fait naître un doute qu’un plan frontal de la cabane-abris et une légère avancée vers le fond vont confirmer, révélant qu’elle est toujours là, immobile, toute de bleu vêtue.
L’étrange procession dont lui parviennent d’abord les chants et qu’elle suit sur le rivage, dans le mince ruban bleue sombre de la mer séparant la bande brune du rivage, en bas, du ciel immense, en haut, nous fait même frôler la frontière du surnaturel que ce ce vrai-faux film de fantômes se garde toutefois de jamais franchir tout à fait.
Traversé de réminiscences de Mizoguchi, Naruse ou Ozu, ce chef d’oeuvre mélancolique permettait à Kore-Eda, presque débutant de 33 ans, de s’affirmer comme le digne héritier de ces maîtres vénérés.
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