Family affair
Le 21 avril 2009
Variation sur le temps qui passe, l’impossibilité du deuil et la transmission familiale. Un grand film subtil et juste signé Kore-Eda.
- Réalisateur : Hirokazu Kore-eda
- Acteurs : Hiroshi Abe, Natsukawa Yui, Harada Yoshio, Kirin Kiki
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Japonais
- Date de sortie : 22 avril 2009
- Plus d'informations : Le site officiel du film
– Durée : 1h55mn
– Titre original : Aruitemo aruitemo
Variation sur le temps qui passe, l’impossibilité du deuil et la transmission familiale. Un grand film subtil et juste signé Kore-Eda.
L’argument : Une journée d’été à Yokohama. Une famille se retrouve pour commémorer la mort tragique du frère aîné, décédé quinze ans plus tôt en tentant de sauver un enfant de la noyade. Rien n’a bougé dans la spacieuse maison des parents, réconfortante comme le festin préparé par la mère pour ses enfants et ses petits-enfants. Mais pourtant, au fi l des ans, chacun a imperceptiblement changé... Avec un soupçon d’humour, de chagrin et de mélancolie, Kore-Eda nous donne à voir une famille comme toutes les autres, unie par l’amour, les ressentiments et les secrets.
Notre avis : Le nouveau film de Kore-Eda est une merveille dans la plus pure tradition du fameux Shomingeki, ce genre propre au cinéma japonais et dont les illustres représentants étaient Ozu Yasujiro et Naruse Mikio dont se réclame justement l’auteur de Still Walking. Il s’agit d’une sorte de « théâtre populaire » s’évertuant à décortiquer les mœurs de la classe moyenne nipponne, avec une prédilection pour l’analyse de la cellule familiale et de ses divisions internes.
Le « pitch » est toujours on ne peut plus simple : une réunion familiale le temps d’un week-end durant lequel le vernis se craquèle insidieusement mais tient bon. Ce qui est moins évident, ce sont les tensions provoquées par un événement tragique passé, en l’occurrence la mort du frère aîné. Comment filmer l’indicible fossé séparant les êtres d’une même famille et qui s’est rempli au fil du temps de regrets, de remords et de rancœurs sourdes à partir de cet événement ?
Kore-Eda a plusieurs réponses. Tout d’abord il croque des types de personnages tout ce qu’il y a de communs (selon les règles du genre) et dont la caricature fine permet une identification et une compréhension universelle : le grand-père (Kyôhei) faussement bourru ; la grand-mère (Toshiko), pilier de la maison, à la fois tendre et vache envers tout le monde ; la petite sœur fofolle (Chinami) ; le beauf à l’ouest ; le fils rejeté peut-être parce qu’il s’exclut d’office (Ryôta) ; et la bru respectueuse (Yukari) qui découvre avec nous l’univers particulier de cette famille. Et puis il y a donc ce fils/frère absent mais dont la présence symbolique inonde les plans, comme un démiurge spectral qui influerait sur les comportements de marionnettes prisonnières d’une maison de poupées. Nous pouvons réellement sentir cette présence dans chaque regard, chaque mot, chaque silence. Toute leur vie est conditionnée par cette tragédie et si effectivement chacun « continue de marcher » c’est au prix d’un effort surhumain. Le rôle de la maison est également très important. Théâtre d’un bonheur révolu, elle est désormais pleine de souvenirs déformés ou volontairement oubliés. Résultat : à part Toshiko qui s’accroche désespérément aux fondations, personne ne s’y sent vraiment à sa place. Kyôhei se tient à l’écart ou passe dans le champ de la caméra comme un touriste maladroit pour se réfugier dans son ancien cabinet de médecin, Ryôta se cogne aux poutres, Chinami souhaiterait s’y installer mais n’est pas la bienvenue et Yukari est comme une étrangère.
- © Pyramide Distribution
Le talent de Kore-Eda est d’imprégner ces rapports familiaux d’une nostalgie douce amère doublée d’une subtile réflexion sur le temps qui passe. Rien n’est appuyé, tout est suggéré avec une grande intelligence grâce à une mise en scène à la fois ironique (dans la même salle de bain, Ryôta se brosse les dents pendant que sa mère, elle, enlève son dentier !) et furieusement poétique (Toshiko tentant désespérément d’attraper un papillon « habité » par l’esprit de son fils). De même l’humour juste et acerbe sait s’effacer soudain pour laisser affleurer à la surface des colères enfouies. Le cinéaste nous offre une leçon de tragi-comique qui culmine lors de la visite de l’enfant pour lequel le défunt a sacrifié sa vie, un raté devenu obèse et maladroit. La question plane comme un ange diabolique : cette famille aurait-elle pu faire le deuil de leur fils si l’enfant qu’il a sauvé était un futur génie ? Passionnant.
Au final, ces différentes interrogations, distillées sur un rythme languide soulignant l’éternité illusoire des moments passés ensemble, ne trouvent pas forcément de réponses, l’essentiel étant de les poser et de les ressentir, mais aboutissent à une note positive : le pouvoir de la transmission. Ryôta a beau sortir du cercle familial, il finit par reproduire les mêmes gestes et répéter les mêmes phrases que ses parents. La transmission, même inconsciente, forge son identité malgré tout et pour toujours.
- © Pyramide Distribution
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Norman06 29 avril 2009
Still Walking - la critique
Très belle chronique familiale, entre l’émotion d’Un dimanche à la campagne et la rigueur de Ozu. Confirme le talent de l’auteur de Nobody Knows, même si un zeste d’académisme atténue un peu l’enthousiasme.