Loft (Rofuto) - La critique pour

En revisitant à sa manière le film de genre Kiyoshi Kurosawa déçoit les amateurs de thriller horrifique mais peut séduire, et même combler, un spectateur disponible et sans a-priori. Rétrospective à la Cinémathèque du 14 mars au 19 avril.

L’argument : Reiko, jeune écrivain auréolée par la récente obtention d’un fameux prix littéraire, étouffe dans son petit appartement tokyoïte. Aidée par son éditeur, elle décide de s’installer dans une grande maison isolée de tout. Elle rencontre un archéologue victime d’étranges malaises depuis qu’il a déterré une momie vieille de mille ans.

Notre avis : Au moment de sa sortie en France en Janvier 2007 ce énième film du prolifique Kiyoshi Kurosawa (entre cinéma, télévision et video sa filmographie, longs et courts confondus, approche les quarante-cinq titres en trente ans) a reçu un accueil critique très mitigé, et même parfois franchement défavorable comme ce fut le cas sur aVoir-alire.
Produit d’une alchimie déroutante, mais à nos yeux réussie et en tous cas stimulante, entre les conventions du kwaidan eiga (film de fantôme), dont l’arsenal est convoqué de manière assez mécanique, et un cinéma franchement expérimental, il pouvait en effet laisser perplexe.
On concèdera volontiers que les rebondissements à tiroirs du scénario et le côté attendu des coups de théâtre accumulés rendent la deuxième partie du film assez laborieuse, avec par moments un deuxième degré appuyé (les envolées musicales qui accompagnent les faux happy-ends) comme si Kurosawa s’acquittait sans trop de conviction d’un cahier de charges qu’il s’est imposé à lui-même. Car il aime vraiment les conventions du genre fantastique même si sa pratique est nécéssairement décalée, qu’il ne peut s’empêcher de le pervertir insidieusement au risque (avéré) de décevoir les amateurs de thrillers horrifiques.

Mais le tournage à deux caméras a permis au cinéaste de jouer sur des variations d’angles à peine perceptibles qui installent un vrai trouble (une double vue) et son film est vraiment très fort là où il paraît le plus simple. Il demande un spectateur disposé à fixer l’écran, à se laisser happer par la feinte immobilité des plans prodigieusement animés et perturbants.
En effet, quand on a la chance de voir Rofuto, alias Shi no otome (Loft) sur grand écran (et dans une superbe copie) on est impressionné par le travail subtil sur le cadre et sur le son, ainsi que par un usage faussement évident du champ-contrechamp, et on peut difficilement se soustraire à la fascination qu’exerce cette sidérante beauté rongée par l’inquiétude et la manière dont prennent vie les objets, la nature, le vent.
Quant à l’histoire d’amour forcément vouée à l’échec elle apparaît bien comme une tentative désespérée des personnages de sortir du piège de la fiction et son ironie romantique est portée par des interprètes qui trouvent le ton juste, à la fois investis par leur personnage et le regardant de l’extérieur.
Bref : on veut bien comprendre la déception des amateurs de films de genre mais on se permettra de ne pas la partager. Vu sans a-priori au cours de la grande rétrospective organisée à la Cinémathèque* (jusqu’au 19 avril 2012) au milieu d’un public nombreux et attentif, Rofuto – loft nous a troublé et conquis.