Le 16 août 2016
Une œuvre originale, entre film noir et drame historique, qui articule magistralement meurtre individuel et meurtre d’État.
- Réalisateur : Robert Siodmak
- Acteurs : Mario Adorf, Annemarie Düringer, Carl Lange, Hannes Messemer, Claus Holm
- Genre : Drame, Thriller, Noir et blanc
- Nationalité : Allemand
- Durée : 1h45mn
- Box-office : 1.075.795 (France)
- Titre original : Nachts, wenn der Teufel kam / La nuit quand le diable venait (affiche alternative)
- Date de sortie : 13 février 1959
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– Année de production : 1957
Résumé : En Allemagne, durant l’année 1944, une servante est assassinée sur son lieu de travail. La police soupçonne son dernier client, un soldat de l’armée allemande. Cependant l’inspecteur n’est pas de cet avis et va tenter de faire la lumière sur ce meurtre.
Notre avis : Inspiré d’un fait divers réel, Les SS frappent la nuit, connu aussi sous le titre La nuit quand le diable venait, traduction littérale de l’original, appartient à la dernière partie de la carrière de Siodmak ; de retour en Allemagne (RFA) après la longue parenthèse américaine, il tourne Les Rats, premier succès et, deux ans plus tard, ce film qui en sera un autre. Œuvre singulière par son cadre (Berlin sous le nazisme) et par la manière d’envisager une époque : en 1957, le sujet est encore sinon tabou, du moins déformé au point de considérer la plupart des Allemands comme des « résistants passifs ». Siodmak ne remet pas en cause la vision « officielle », ce qui peut être gênant en tant que documentaire, mais se révèle particulièrement jouissif en tant que fiction ; c’est en effet un état en plein délitement que montre le scénario. Délitement physique avec les plafonds qui menacent de s’effondrer, les alertes à la bombe, mais aussi contestation de l’intérieur : c’est le juge qui parle du droit qui n’existe plus ; ce sont aussi, plus subtilement, des notations ironiques parsemées tout au long de la narration. Plus amusantes que crédibles, elles montrent un regard désabusé du peuple, qui fait écho à tout un état-major ou presque, qui boit, fait la fête ou songe à fuir. Au fond, ce que Siodmak enregistre, c’est la fin d’un monde qui prend conscience de son échec : l’apparat est encore présent, avec les récompenses distribuées au début ou les locaux monumentaux, mais il s’effondre et garde pour l’essentiel les signes plutôt que l’efficience.
Néanmoins, et c’est ce qui passionne le cinéaste, l’enquête que mène Kersten se cogne sans cesse à la raison d’État ; il ne suffit pas que le criminel soit arrêté, encore faut-il qu’il cadre avec la doctrine. Certes, Bruno, le tueur en série, est un débile mental, ce qui confirme la pensée nazie, mais le fait qu’il ait assassiné depuis longtemps peut semer le doute sur l’efficacité de la police. Le remarquable ici, c’est à quel point le coupable, assez vite identifié, compte moins que le service du régime. Kersten en est pour ses frais, lui qui croyait pouvoir manipuler ses supérieurs pour arriver à ses fins ; il se voit puni de manière cruelle. In fine, le scénario accole deux criminels, Bruno d’un côté, le nazisme de l’autre et montre à quel point le second peut se nourrir du premier, le récupérer ou le nier selon ses intérêts.
Dès le premier plan, une traque et, à l’issue d’un panoramique, Bruno se camouflant dans la rivière, on retrouve la maîtrise de Siodmak ; son passé de réalisateur de polars lui sert, même s’il s’en éloigne ici : l’utilisation du noir et blanc, de l’éclairage, mais aussi une rigueur dans le fait de viser l’essentiel, tout cela vient sans conteste du noir. Le meurtre même, le seul qu’on voit à l’écran, ne déparerait pas dans une série B convaincante des années 40. Son habileté (n’oublions pas qu’il a signé des œuvres aussi remarquables que Phantom Lady, Les tueurs ou Criss-cross) se heurte néanmoins à des conventions : l’histoire d’amour est assez maladroite et même dans les dernières images, où elle devrait émouvoir, ne parvient pas à transcender le cliché. En revanche, il fait camper à Mario Adorf un hallucinant tueur ambigu, capable de douceur et de cruauté, irresponsable, fétichiste qui garde dans un coffre des souvenirs de sa victime. Le comédien encore débutant livre une performance à la fois sobre et concentrée : chaque geste, chaque regard (ou absence de regard, avec ses yeux baissés dans certaines circonstances) montre une parfaite maîtrise sans ostentation. Il convainc davantage que le protagoniste, un peu palot pour ce rôle.
Énorme succès à sa sortie, Les SS frappent la nuit mérite d’être revu tant il conserve aujourd’hui une part de son originalité. Siodmak, en traitant un fait divers dans un contexte singulier, ne se contente pas de transposer une histoire dans une époque donnée : il ausculte un monde effarant, à la fois machiavélique et proche de l’effondrement. De cette tension naît un traitement qui donne au film, malgré les nombreuses pointes d’humour, une dimension tragique, mais un tragique feutré, et d’autant plus glaçant.
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