Son frère, encore
Le 13 septembre 2004
Une passion impossible et larvée entre un frère et une sœur. Un nouveau Besson en forme d’union délicate...
- Auteur : Philippe Besson
- Editeur : Julliard
- Genre : Roman & fiction
Lorsqu’elle retrouve Arthur, qu’elle n’a pas vu depuis une quinzaine d’années, Isabelle Rimbaud voit avec un mélange d’effroi et de reconnaissance se lever la chape de silence qui a toujours pesé sur sa famille. Elle sera la dépositaire malgré elle des secrets et des tourments de son frère.
Comme dans Son frère, son très beau livre porté à l’écran par Patrice Chéreau, Besson nous donne à voir les douleurs et les regrets d’une vie qui s’achève, ses derniers moments de lumière aussi. Comme dans Son frère encore, il s’agit d’un accompagnement, mais ici il est autant amour que déchirement.
Isabelle, en effet, est une jeune femme éteinte, étouffée même, qui vit dans la crainte de Dieu et le respect d’une mère sèche et avare de mots. La terre où elle a passé toute son existence, qu’elle ne quittera sans doute jamais, est froide et dure même en plein été. Cette terre et ses gens gris ont fait fuir le jeune Rimbaud et la retiennent, elle, prisonnière. Plus encore que ce que ce récit tout en retenue nous dit des derniers jours du poète, c’est le portrait de cette vie sans plaisir, sans joie qui touche, qui sonne juste et parle pour tous les invisibles, les sacrifiés aux règles et aux convenances. Besson excelle notamment à décrire ces moments infimes où la sensualité veut percer envers et contre tout, où le besoin d’être vu et aimé tord le ventre en un hurlement que personne n’entend.
Mais au fil de ces jours ponctués par les soins à ce mourant coléreux et amer qu’est Rimbaud, Isabelle fait aussi l’apprentissage du corps, de ses excès. Ce qu’elle entend de la bouche de son frère, ces confidences dont elle dit ne pas vouloir, changeront sa vie à jamais. A travers elles, elle découvre l’ambiguïté du désir. Elle qui avoue n’être à trente ans, la femme d’aucun homme, reçoit et ressent dans sa propre chair les errances et les appétits que Rimbaud, provocateur jusqu’au dernier souffle, lui décrit. Sans doute est-il un peu jaloux de la foi inébranlable qui habite et guide sa sœur. Il la raille avec un acharnement qui ressemble à de l’envie. Car cette foi d’Isabelle, qui lui est absolument étrangère, à lui, la protège, la tient debout quand lui est à terre.
De son côté, Isabelle, qui a aimé passionnément ce frère absent, admire son acharnement à rester libre quel qu’en soit le prix. L’un n’aurait pu être l’autre mais au bout de ces mois lents où la vie tient à un fil, il s’opère comme une fusion.
Les jours fragiles est le récit délicat de ce partage, de cette union.
Philippe Besson, Les jours fragiles, Julliard, 2004, 188 pages, 18 €
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Raymond Perrin 12 octobre 2004
Les jours fragiles - Philippe Besson
La « vieille fille » au chevet du « tronçon immobile »
Un genre en expansion : la « rimbaldo-fiction »
La « rimbaldo-fiction » a le vent en poupe depuis plus d’une décennie… Même si on peut lui reprocher de privilégier la légende aux dépens d’une Histoire, parfois bien hypothétique, c’est loin d’être un genre négligeable. Parmi les romans où circule l’ombre de Rimbaud, (et parfois plus), on rencontre en 1995, La Quarantaine de Jean-Marie G. Le Clézio, (1997), Jardin d’incendie d’Al Berto et Studio de Philippe Sollers.
Pourquoi le roman d’Alain Vircondelet La Terreur des chiens, de 1999, d’une grande qualité de style, attaché à la vie de Rimbaud du 9 mai au 10 novembre 1891, n’a-t-il pas eu le même succès que celui de Philippe Besson dont il est proche par la qualité d’écriture, les thèmes et la période évoquée ? On ne peut être indifférent au fait que Loïc Depecker, cette année, ait lui aussi « reconstruit » le journal apocryphe de Rimbaud, de 1865 à 1891, dans Arthur Rimbaud : Journal, Rimbaud de soleil et de glace, (L’Alliance parnassienne). Le monologue de Vitalie Rimbaud, (la mère, La Rimb) ayant été imaginé par Xavier Grall, dans La Marche au soleil, et dès lors qu’à Charleville sera réédité le Journal de Vitalie, (la sœur de Rimbaud décédée en 1875), on se demande si un diariste un peu fou ne va pas un jour aller jusqu’à produire le journal des deux Frédéric, le père et le fils !
Quels lecteurs pour un roman abusant des droits de la fiction ?
C’est bien à la « rimbaldo-fiction » que se rattache le nouveau roman de Philippe Besson, auteur à la mode. Au cœur du large lectorat alléché par une critique plutôt favorable, il importe d’isoler au moins trois catégories de lecteurs pour son nouveau roman.
1) Ceux qui lisent ce récit dans la continuité de l’œuvre de Philippe Besson sont émus par le ton compassionnel et attendri d’un écrivain acharné à creuser le sillon douloureux des face-à-face tragiques et souvent morbides, dans lesquels il semble se complaire. Qu’importe s’ils s’achèvent sur un constat de décomposition des corps et des cœurs. Dans son dernier « chant funèbre », l’auteur a quasiment kidnappé Isabelle Rimbaud, « vieille fille » coincée, et son frère Arthur, rentré d’Afrique, assisté courageusement par cette sœur cadette, et bientôt amputé d’une jambe à l’hôpital de Marseille, une histoire maintes fois racontée par le livre, le film ou le téléfilm. Que cette fiction paraisse lors des 150 ans de la naissance de Rimbaud est une aubaine. Ces lecteurs seront peu sensibles à « l’instrumentalisation » de Rimbaud et de sa sœur cadette, suffisamment connus grâce aux strates biographiques rimbaldiennes durant un siècle, aux correspondances recueillies, par exemple dans la Pléiade de 1972, et aux livres d’Isabelle.
Un roman parfois hypothétique et fantasmatique, usant de subterfuges
2) Ceux qui n’ont lu ni Rimbaud ni les lettres d’Isabelle et de sa mère, ni les nombreux ouvrages, même indispensables de la « rimbaldothèque », croiront lire un « roman » aux bases solides puisque l’auteur se réclame de la biographie de Jean-Jacques Lefrère, solide ouvrage avec lequel le romancier prend bien des libertés. Par exemple, J.-J. Lefrère ne croit guère à l’interprétation du poème Le Cœur volé comme étant la scène d’un viol à la caserne Babylone au printemps 1871. Ou alors, il situerait le fait plus tôt, lors de l’emprisonnement de l’adolescent à Mazas. Qu’importe ! Philippe Besson reprend le récit fort hypothétique mais croustillant des ébats déjà gratuitement imaginés par le colonel Godchot en 1936, et par Pierre Arnoult, sous Vichy, en 1943 ! Ces lecteurs, encouragés par une critique indulgente, seront séduits par une écriture sensible et fluide, classique et touchante, même si elle frôle parfois le cliché et la banalité. Or, cette fiction fait une part trop belle aux fantasmes obsessionnels d’un auteur avide d’évocations quasi gidiennes de corps masculins, même absents de la vie réelle de Rimbaud. P. Besson n’hésite pas devant le mélo romantique, (détesté par Rimbaud dans son anti-lyrisme), façon Dormeur du val, « à la recherche du jeune soldat fauché par les balles ennemies » !
Parce que l’homosexualité de Rimbaud est aujourd’hui reconnue, (les « Petits classiques Larousse » évoquent cette année, le « couple amoureux difficile » Verlaine-Rimbaud), faut-il faire de la surenchère en lui prêtant des « conquêtes » fictives ou en déformant la tradition consensuelle, par exemple celle qui concerne son serviteur africain Djami ?
Tous croiront à une documentation fiable, puisée aux meilleures sources alors que la fiction, en toute impunité, ne se prive d’aucun droit ! Pourquoi l’auteur, sous-estimant les pouvoirs de son imagination, se croit-il obligé de recourir paresseusement à ce journal apocryphe alors que l’on dispose déjà de (trop) de lettres de cette véritable menteuse professionnelle, experte en « tripatouillages ». Le roman use et abuse en outre de plusieurs subterfuges qu’il convient de clarifier. Isabelle Rimbaud, au moment de la mort de son frère, ignore tout de ses œuvres poétiques. (Même l’hypocrite Paul Claudel le reconnaît).
Elle ignore dans le détail les trajets de ses multiples aventures et Philippe Besson lui prête une connaissance abusive de la vie du poète. Prenons un exemple précis du frère racontant à Isabelle « sa marche vers l’Italie », et cette « traversée du Gothard (…) fort pénible, épuisante », cette première traversée datant de 1875, après être parti de Stuttgart.
Le second départ, depuis Roche, a lieu le 20 octobre 1878. Or, puisqu’il évoque le séjour à Milan (où le voyageur est recueilli par une veuve) et l’insolation de Sienne, Philippe Besson a choisi le voyage d’avril 1875. Pourtant, note pertinemment J.-J. Lefrère, au printemps, « l’ascension n’était pas trop pénible, car c’était la belle saison ». Pourquoi le romancier, abusant des droits de la fiction, tombe-t-il dans le mélodrame en écrivant : « Il a refusé de s’arrêter, même lorsque ses jambes se sont dérobées sous ses pas, même lorsque ses genoux lui ont manqué… » ? En fait, ces notations conviennent seulement pour le deuxième voyage de 1878 ! Plus gravement, on a la preuve qu’Isabelle Rimbaud ignore la première traversée du Gothard en 1875. Cette fieffée menteuse raconte au journal Le Petit Ardennais, le 15 décembre 1891, que « sa mère fit aller [Arthur] à Milan pour étudier la langue italienne, et lui tint compagnie quelque temps dans cette ville » ! Plus précisément, elle écrit à Louis Pierquin le 17 décembre 1892 qu’elle a retrouvé la lettre du 17 novembre 1878, contant le « fameux passage du Gothard » mais elle ignore toujours la première traversée en 1875. Grâce à la Pléiade, on sait qu’elle écrit : « Vous verrez que M. Darzens n’était guère bien renseigné puisqu’il met ce passage en 1875, tandis qu’il ne s’est effectué qu’en 1878 (…) ! » C’est bien Darzens qui avait raison.
Pourquoi diable Philippe Besson fait-il dire à Isabelle : « Je me remémore tout cela, qu’il m’a raconté il y a quatorze ans (sic), avec une précision qui m’effraie moi-même. (…) Tout me revient. » !
La reconstruction d’un icône, porteuse de mythes néfastes
3) Ceux qui connaissent déjà les mensonges, les « tripatouillages » mis en œuvre par Isabelle Rimbaud aussitôt après la mort de son frère dont elle n’a jamais lu le moindre vers, rappelons-le, au moment de son décès, seront les lecteurs les plus déçus. Il est vrai que, pratiquant la captation de sa pensée avant celle de son héritage, elle se payait le culot de déclarer dans Mon frère Arthur : « Sans les avoir jamais lues, je connaissais ses œuvres, je les avais pensées (…) ». Ils craindront que la reconstruction néfaste d’une icône valorisée à travers le portrait ambigu mais plutôt positif d’Isabelle Rimbaud, dans son rôle de « sœur de charité » à la « pitié douce », et la réhabilitation d’une faussaire bientôt responsable pour longtemps d’une perception abusivement mystique et prophétique de l’œuvre rimbaldienne et responsable de la fortune de plusieurs mythes néfastes. Raymond Perrin
Celui de l’autodafé des exemplaires de Une saison en enfer et de celui des manuscrits prétendument brûlés à Roche, (légende encore accréditée par Philippe Besson qui fait dire à Isabelle : « Car je l’ai vu un jour brûler des manuscrits »). Celui de la conversion in extremis qui va tromper Paul Claudel, dont la préface de 1912, et sa formule prégnante du « mystique à l’état sauvage », est le seul document d’accompagnement de l’édition des poésies de Rimbaud dans le « Livre de poche » en 1960 !
Isabelle Rimbaud a amorcé le mythe du Voyant et du prophète mystique et celui de l’antériorité de la rédaction des Illuminations par rapport à Une Saison en enfer. Craignons un phénomène contagieux : on annonce au Seuil Partition libre pour Isabelle de Yasmine Khlat.
Combien de ces lecteurs auront mémorisés les « avertissements » de Besson faisant dire à Isabelle : « Il faut arranger nos souvenirs » ou « avouant » : « Mais quand le temps adviendra de livrer mon frère à la postérité (…), je devrai faire des accommodements avec la réalité (…). Arthur Rimbaud ne peut entrer souillé dans l’Histoire. »
Bien au-delà des néologismes du XXe siècle utilisés : « entretenir le mythe », « viduité » (sic), « je n’occulte pas », « trace d’affect », « déporté », « censurer » etc…, on lit un journal improbable si l’on doit imaginer qu’il a été conçu à la fin du XIXe siècle, dans un « triste trou » campagnard et provincial bardé d’interdits, de blocages et de non-dits. Impossible d’imaginer par exemple ces incongruités : Isabelle Rimbaud, toute de rigueur morale et de soumission religieuse, s’abandonnant au plaisir solitaire, ou prête à accueillir les révélations de son frère sur ses frasques sexuelles. Cette intimité et ce ton de confidence sont impossibles à cette époque et en ces lieux, entre le frère qui « sent le roussi » et la soeur d’une raideur morale égale à celle de sa mère, Vitalie Cuif. Cet ouvrage, est bien, au regard des recherches rimbaldiennes, une mauvaise action.
Puisqu’il s’agit d’une fiction, il est normal que la majorité des lecteurs croient lire une histoire émouvante, où l’on isole le frère et la sœur, loin d’une mère au portrait exagérément noirci, pour mieux renforcer une intimité qui doit davantage à l’imagination d’un esprit du XXI e siècle qu’à la triste réalité d’un 19e siècle provincial, avec ses traditions figées, ses conformismes et sa bigoterie.
Comme la légende prend le dessus sur L’histoire, nul doute que le roman obtienne au moins un prix, voire une adaptation cinématographique, toutes celles concernant Rimbaud, sauf les documentaires de Max-Pol Fouchet et de Richard Dindo, ressortissant déjà à la « rimbaldo-fiction ».
Loïc Depecker 22 octobre 2004
Les jours fragiles - Philippe Besson
Dans Arthur RImbaud Journal, sous-titré Rimbaud de soleil et de glace, j’ai tenu à ne faire figurer que des événements avérés de la vie de Rimbaud, en me défiant du journal de sa soeur. J’ai reconstitué à partir de ses propres manuscrits, notamment son récit de sa rentrée de Harrar sur Aden en chaise à porteur, que lui-même a rédigé (manuscrit Doucet), son cheminement historique. Mais spirituel aussi et poétique. J’ai fait tout un travail philologique sur les ratures de ses poèmes, que je mets ici et là en scène dans ce roman.
Roman journal, que je considère comme une illustration de Rimbaud, non comme un plagiat. J’ai essayé d’y mettre en place un autre mode d’écriture sur Rimbaud, et une autre lecture (le livre se prend et se lâche où l’on veut, mais l’ordre chronologique est rigoureux).
Les éditeurs voulaient me faire faire changer le manuscrit (l’un d’eux voulaient notamment que je montre Rimbaud et Verlaine faisant l’amour). J’ai refusé et ai pris la décision de publier à compte d’auteur. Pour ceux qui sont passés par là, c’est une situation extrêmement difficile.
Le livre vient d’être sélectionné par la vitrine www.libriszone.com