Le 22 octobre 2023
Bernardo Bertolucci signe l’un de ses films les plus prestigieux. Derrière la grande production oscarisée se cachent une réflexion politique saisissante et un projet esthétique séduisant.
- Réalisateur : Bernardo Bertolucci
- Acteurs : John Lone, Peter O’Toole, Joan Chen, Vivian Wu, Lisa Lu , Ric Young, Ryūichi Sakamoto, Dennis Dun, Victor Wong, Cary-Hiroyuki Tagawa
- Genre : Biopic, Historique
- Nationalité : Britannique, Français, Italien
- Distributeur : Metropolitan FilmExport, Splendor Films , Columbia Pictures
- Durée : 2h42mn
- Reprise: 10 mai 2023
- Titre original : The Last Emperor
- Date de sortie : 25 novembre 1987
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– Reprise en version restaurée : 10 mai 2023
Résumé : Pékin, 1908. Alors âgé de deux ans, le jeune Pu Yi est conduit à la Cité interdite. À la mort de l’impératrice, l’enfant est proclamé empereur de Chine. Ainsi débute le prodigieux destin de celui qui, de l’apprentissage du pouvoir au déclin d’un empire face aux bouleversements du monde, connaîtra la guerre, la révolution, la prison et l’exil.
Critique : Triomphateur aux Oscars, gros succès public de Bernardo Bertolucci, Le dernier empereur est un biopic majeur des années 1980. Le cinéaste italien a tourné en langue anglaise cette fresque se déroulant en Chine. Curieuse destinée que celle Pu Yi, né en 1906, sacré empereur à l’âge de deux ans, enfermé jusqu’à ses vingt-et-un ans dans la Cité interdite où il régna symboliquement, la République ayant supprimé ses pouvoirs, puis souverain déchu devenu play-boy mondain, avant d’être à nouveau sacré empereur par les Japonais dans l’État fantoche de Mandchoukouo. Capturé par les Soviétiques en 1945, il est remis aux autorités communistes chinoises en 1950 et se voit accusé de crime de guerre. Il est alors emprisonné et entame sa rééducation politique. Libéré en 1959, il termine sa vie comme simple jardinier à Pékin où il meurt en 1967, en pleine Révolution culturelle… On sait Bertolucci intéressé par le parcours idéologique et politique de ses personnages, depuis son traitement de destinées fascistes dans Le conformiste et 1900. Le Pu Yi qu’il dépeint (interprété par un lumineux John Lone) est pétri de contradictions : devenu empereur malgré lui, il est cet enfant qui ne cesse de réclamer le retour chez sa mère, avant de prendre goût au pouvoir et de jouer les petits princes gâtés, pris de colère le jour où il apprend qu’on lui a menti et qu’il n’a son titre d’empereur qu’au sein de la cité.
- © Metropolitan FilmExport
Adolescent, il montre des volontés de réforme et expulse ses eunuques, conservateurs et manipulateurs. L’amitié avec son précepteur, un Anglais (Peter O’Toole) qui lui fait découvrir la culture occidentale, marque à la fois son ouverture au monde mais aussi le début de la trahison tant envers ses valeurs ancestrales que vis-à-vis de la nation chinoise. Alors qu’il aurait pu, à l’instar des Russes blancs, mener une existence confortable en exil, il préfère être le jouet des Japonais dans l’espoir de redevenir un jour empereur de Chine. Arrêté par les communistes, il se comporte comme un aristocrate injustement déchu avant de signer tous les aveux et se comporter comme un fidèle maoïste décervelé dès sa libération… Le film est construit par une structure en flash-back, découpant le récit en deux volets qui se télescopent : les séquences de sa rééducation alternent ainsi avec la narration de la première partie de sa vie, jusqu’en 1945. Le procédé, initié (de façon plus complexe encore) par Max Ophüls avec Lola Montès (autre histoire d’une déchéance), a depuis été repris par de nombreux biopics, de La Môme à La dame de fer. Cette juxtaposition de deux sous-récits linéaires est une des forces de l’œuvre, qui excelle à montrer les contrastes de l’existence de Pu Yi, et renforce les séquences d’humiliation que l’ex-empereur doit subir (baisser la tête lorsqu’il entre dans sa cellule, draps et couverture au bras, ou apprendre à uriner dans un seau collectif sans faire de bruit…).
- © Metropolitan FilmExport
Le film est par ailleurs habile à dépeindre les relations que l’empereur entretient avec son épouse (Joan Chen) et sa concubine. Conformément à une tradition chinoise, cette polygynie est normative mais placera les deux femmes en porte-à-faux dès que le trio se retrouve confronté au gratin mondain américain et européen. La suggestion d’une scène d’amour à trois, un drap de satin recouvrant les acteurs, puis l’évocation d’une liaison saphique permettent de retrouver le Bertolucci des années 70, celui qui filmait Dominique Sanda caressant Stefania Sandrelli dans Le conformiste ou être partagée par Robert De Niro et Gérard Depardieu dans 1900. Là s’arrête la comparaison car Le dernier empereur pourra paraître plus sage, classique sans être académique dans les autres passages. Certaines scènes de foule sont pourtant grandioses, comme le couronnement du petit garçon ou le défilé des jeunesses maoïstes : Bertolucci y confirme ses talents d’esthète, bien épaulé par la photo de Vittorio Storaro et la musique de Ryūichi Sakamoto (qui tient un rôle secondaire). La splendeur de ces séquences fait rétrospectivement penser aux réussites de Zhang Yimou ou Chen Kaige à la décennie suivante. L’unique réserve que l’on fera concerne précisément l’absence de la langue chinoise (hormis les chants) au profit de l’anglais, marché américain oblige, alors même que beaucoup d’acteurs sont asiatiques… Mais après tout, on parlait bien le français (de surcroît en alexandrin) et non le grec ancien ou le latin chez Racine et Corneille…
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