Le 6 février 2019
Un premier essai déconcertant, troublant, qui repose moins sur une enquête policière que sur la déambulation de personnages désœuvrés. Inédit en France.
- Réalisateur : Bernardo Bertolucci
- Acteurs : Gabriella Giorgelli, Francesco Ruiu, Giancarlo de Rosa, Alvaro d’Ercole, Alfredo Leggi
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Noir et blanc
- Nationalité : Italien
- Distributeur : Les Films du Camélia
- Durée : 1h33mn
- Reprise: 13 février 2019
- Titre original : La Commare Secca
- Date de sortie : 1er janvier 1962
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– Année de production : 1962
Résumé : Une prostituée a été tuée dans un parc romain. La police interroge toutes les personnes présentes dans le parc cette nuit-là. Parmi elles, se trouve l’assassin.
Notre avis : Un pont, une voiture qui fait voler des papiers déchirés ; la caméra les suit jusqu’à un cadavre de femme en un travelling très esthétique, premier d’une longue série qui vise à mêler sans cesse le minéral et l’humain. S’ensuivent cinq interrogatoires de suspects, qui seront autant de flash-back consacrés à des errants, loin de la Rome touristique : s’il y a bien des monuments historiques, on navigue surtout entre ponts et logements miteux, forêt et parc désertés dessinés en une géographie presque abstraite. La capitale italienne semble faite pour que se croisent des êtres médiocres, petits voleurs malhabiles, soldat benêt, maquereau sans envergure, toute une faune dans laquelle on reconnaît la patte de Pasolini, qui a donné le sujet à Bertolucci. À vrai dire, il ne se passe pas grand-chose dans Les recrues : les personnages déambulent sans but, souvent livrés à une solitude pesante. Leurs petites histoires finissent par se rejoindre, puisqu’ils sont tous passés par le parc du crime, mais elles ont surtout en commun, à l’exception de celle du meurtrier, leur quasi insignifiance : les deux copains en virée avec leurs fiancées ont pour seul objectif de réunir 2000 lires pour leur offrir un repas, le soldat drague sans résultats, un homme hésite à quitter la femme qui lui a offert une voiture… De petites tranches de vie qui côtoient la violence et qui peuvent basculer dans le drame sans que Bertolucci ne s’y complaise. Car pour l’essentiel, il s’attarde surtout à suivre des marcheurs sans grand relief, et que pourtant il regarde avec une certaine tendresse : c’est que ce sont des faibles, des perdants dépourvus de flamboyance.
- © Les Films du Camélia
On sent dans le film la double influence du néoréalisme (les comédiens non professionnels) et de la Nouvelle Vague (montage abrupt, ruptures, ellipses), à laquelle s’ajoute une volonté d’esthétiser un récit fait essentiellement de temps morts. Démarche moderne que celle de s’attarder sur les béances de la narration malgré un prétexte policier qui aurait pu mener sur une tout autre voie, que de déconstruire par de savants méandres le suspense d’un whodunit étique. Bertolucci s’intéressent bien davantage à la description patiente de petits gestes (deux filles qui dansent, un jeune homme qui noue un foulard autour de son cou) ou à un travelling arrière isolant le soldat dans un tunnel sombre qu’au travail d’un commissaire longtemps réduit à une voix. Au fond, la question posée par tout le cinéma important de cette époque, c’est : comment filmer des histoires rebattues avec un œil neuf, pas seulement pour être original, mais plutôt pour signifier la perte du sens ? La solution du cinéaste italien, proche ici de celle d’un Cassavetes ou d’un Godard à la même époque, repose sur la mise en valeur de l’insignifiant qui mène au drame, presque par accident. Rien de grand, rien d’héroïque, ni de lyrique.
- © Les Films du Camélia
Et pourtant jamais on ne sent l’approximation ou l’amateurisme ; les cadrages sont soignés, les travellings précis, la construction archi rigoureuse, comme en témoignent le retour d’un plan (la pluie derrière la vitre), les rimes internes ou l’utilisation de la musique. Bertolucci ne laisse rien au hasard, il frôle même le formalisme par moments ; il impose un rythme lent qui peut lasser ou, au contraire, séduire voire hypnotiser par sa nonchalance calculée. On est loin de ses grands films, mais ce premier essai fascinant ponctué d’éclats très visibles (le jeu sur les ombres, les plongées verticales) témoigne d’une maîtrise déjà indiscutable. Une belle découverte.
- © Les Films du Camélia
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