Littérature étrangère
Le 1er octobre 2002
Les contradictions de la Cuba castriste par un écrivain qui les a vécues de l’intérieur.
- Auteur : Jesús Diaz
- Editeur : Métailié
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Cubaine
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Voici traduit en français le premier roman du Cubain Jesús Diaz, décédé à Madrid en mai 2002, itinéraire virevoltant et palpitant d’un jeune révolutionnaire épris de pouvoir et d’héroïsme patriote, pris au piège des contradictions de la Cuba castriste. Ecrit en 1973, Les Initiales de la terre ne fut pas du goût des officiels qui en interdirent la publication.
Itinéraire également truffé de retournements pour l’œuvre de Jesús Diaz, né à la Havane en 1941, enseignant de philosophie à l’université et distingué par le prix La Casa de las Americas en 1966 pour son recueil de nouvelles Los años duros. Le refus des autorités cubaines de publier son roman le fait abandonner la littérature et il devient documentariste puis metteur en scène. En 1987, Les initiales de la terre est enfin publié en Espagne puis en Europe où il rencontre un grand succès, ce qui vaut à Jesús Diaz une invitation en Allemagne en 1992. Depuis Berlin, il écrit un texte dans une revue suisse condamnant tout à la fois la politique castriste et l’embargo américain à l’encontre de Cuba. Le texte déclenche un tollé sur l’île où il est interdit de séjour. Diaz s’installe alors à Madrid, où il publie des romans résolument politiques dont Les initiales de la terre est une tragique et belle introduction.
Carlos, héros fougueux au bord de la dépression, vient demander conseil à son psychiatre : il a été désavoué publiquement par ses compañeros pour avoir appliqué avec un zèle démesuré la ligne la plus dure du Parti au sein du syndicat de l’école d’architecture qu’il présidait. Le médecin délivre alors un diagnostic sans appel : "Tu souffres du syndrome du gauchisme, une maladie psycho-politique commune mais très pernicieuse." On comprend que ce constat ait pu déplaire au pouvoir castriste des années 1970... Tout comme le récit des impossibles défis lancés par Fidel, telle que l’épique "récolte des 10 millions" censée faire de Cuba la première puissance sucrière du monde, au prix d’incohérences industrielles flagrantes et de sacrifices humains irréparables.
Mais ce qui a le plus déplu aux officiels cubains, c’est le prétexte subtil utilisé par Jesús Diaz pour dresser cette fresque historique avec un tel souci de vérité : Carlos comparaît devant l’Assemblée des Travailleurs afin d’être élu ou non "travailleur exemplaire". Il doit pour cela remplir un questionnaire et répondre aux membres de l’Assemblée tant sur son parcours militant et professionnel que sur sa vie personnelle, intime. Scène digne des procès de Moscou où chaque détail est analysé à la lumière de son adhésion à l’orthodoxie communiste et où chacun peut stigmatiser les échecs et dénigrer les exploits du compañero jugé.
C’est ce souci permanent d’un réel démystifié qui permet au roman d’approcher au plus près les différentes composantes de la culture cubaine et d’en faire une œuvre pittoresque, musicale et poétique, visuelle et haute en couleurs. C’est aussi cette recherche de la vérité qui permet de mettre à jour la tragédie d’un homme porté par l’espoir de contribuer à la naissance d’une société communiste et socialiste, un homme à la conscience politique aiguë mais mal affirmée, engoncé dans sa fierté et trop suffisant pour supporter l’échec. Un héros dont le destin fuyant révèle l’aveuglement passionné des Cubains face au charisme du chef et la désillusion de Jesús Diaz à l’égard de la révolution.
Jesús Diaz, Les initiales de la terre, (Las iniciales de la tierra, traduit de l’espagnol (Cuba) par Jean-Marie Saint-Lu), Métailié, 2002, 405 pages, 19,50 €
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