Haute voltige
Le 16 décembre 2013
Nouvelle fantaisie et nouvelle réussite pour l’inusable Alain Resnais. Un grand souffle de liberté jouissif qui dépoussière le cinéma français.
- Réalisateur : Alain Resnais
- Acteurs : Emmanuelle Devos, Sabine Azéma, André Dussollier, Nicolas Duvauchelle, Mathieu Amalric, Sara Forestier, Jean-Noël Brouté, Anne Consigny, Michel Vuillermoz, Annie Cordy, Paul Crauchet, Roger Pierre, Dominique Rozan, Dorothée Blanck, Valéry Schatz, Françoise Gillard
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français
- Distributeur : StudioCanal
- Durée : 1h44mn
- Date télé : 19 mars 2022 22:35
- Chaîne : OCS City
- Date de sortie : 4 novembre 2009
- Festival : Festival de Cannes 2009
Résumé : Marguerite n’avait pas prévu qu’on lui volerait son sac à la sortie du magasin. Encore moins que le voleur jetterait le contenu dans un parking. Quant à Georges, s’il avait pu se douter, il ne se serait pas baissé pour le ramasser.
Critique : Commençons par l’anecdote : Pierre Arditi ne joue pas dans le nouveau film d’Alain Resnais. Cela peut paraître anodin mais il est important de le souligner puisqu’il s’agit seulement de la deuxième absence de l’acteur en trente ans de collaboration avec le cinéaste breton. La première fois, c’était à l’occasion du film I Want to Go Home, il y a de cela exactement... vint ans auparavant ! C’est dire si la figure et la voix du comédien sont intimement liées à l’œuvre de Resnais. D’où cette légère sensation de manque, fugace et inconsciente, ressentie dès le début du film.
Elle s’estompe cependant rapidement, d’une part parce que Sabine Azéma et André Dussollier sont eux bien présents, mais aussi et surtout parce qu’à 87 ans, Alain Resnais parvient encore à nous surprendre, à rendre précaire notre confort de spectateur, à jouer sur nos attentes, à nous faire participer activement au spectacle auquel nous sommes conviés. Le cinéma de Resnais ne souffre d’aucune sclérose, d’aucun rhumatisme, mais semble au contraire voué à une jeunesse éternelle. Si le magnifique Cœurs revêtait un manteau neigeux presque funèbre, ces Herbes folles prouvent que le cinéaste est toujours vert.
- © StudioCanal
Il opère même une sorte de retour aux sources en adaptant à nouveau un auteur des Éditions de Minuit, Christian Gailly, après Marguerite Duras et Alain Robbe-Grillet pour ses deux premiers longs-métrages. Seule entorse à un modus operandi jusque-là immuable : Resnais n’a pas demandé à Gailly un scénario original et n’a pas collaboré avec lui. Qu’à cela ne tienne, le livre (L’incident) sera respecté à la lettre comme s’il avait été écrit pour le film. Et l’on comprend aisément ce qui a séduit l’auteur de Mélo : la retranscription du déroulement chaotique des pensées de personnages dont les motivations suivent des désirs parfois incompréhensibles ou des pulsions inavouables. Qu’est-ce qui détermine les choix opérés par un individu face à une situation donnée ? Autrement dit, que se passe t-il dans sa tête ? Quelles sont les parts respectives de l’inconscient, de la réflexion, de la mémoire et de l’imaginaire ? Toute l’œuvre de Resnais est centrée sur ces fascinantes problématiques. Le livre de Gailly était donc du pain béni. Le fringant octogénaire s’en est donné à cœur joie.
Pour illustrer l’anarchie mentale qui régit les décisions de ses personnages, Alain Resnais colle à l’écriture jazzy de Gailly en créant une esthétique de la rature, de la correction et de la rupture de ton et de rythme (que l’on trouvait déjà dans Je t’aime, je t’aime et Providence). Du vol (à la tire) initial au vol (en avion) final, c’est un festival d’hésitations, de réflexions, de projections mentales modelées puis remodelées jusqu’au vertige, d’allers-retours, de phrases et de plans coupés, de couleurs qui se répondent ou s’opposent d’une scène à l’autre, de multiples pistes laissées en friche et d’interrogations diverses. Qui est ce narrateur auquel Édouard Baer prête sa voix ? Pourquoi Marguerite (Azéma, sublimement végétale) est-elle attirée par Georges ? Et Georges justement, quel est son passé si troublant ? Sur ce point précis, on note une différence fondamentale entre le livre et son adaptation. Dans l’ouvrage de l’écrivain, il est clair, si l’on peut dire, que Georges a été mis au banc de la société pour quelques affaires de mœurs hautement répréhensibles. Dans Les herbes folles, c’est beaucoup plus évasif. Le personnage, brillamment interprété par André Dussollier, s’apparente plutôt à un Monsieur-Tout-le-monde trouvant une occasion rêvée de s’échapper d’une vie ennuyeuse (le « plan-plan » séquence du repas de famille est un modèle du genre). Quant à ses envies de meurtres, elles sont surtout irrésistiblement drôles et pourraient trotter dans la tête de n’importe qui. Ainsi Resnais nous rend le personnage familier et nous implique de fait dans la réflexion sur ses motivations profondes.
- © StudioCanal
Ce qui guide avant tout ces deux protagonistes, c’est cette envie de s’extraire d’une vie sans relief, comme les herbes folles font craquer le bitume, de brûler les « stop » (même si « ça fait mal ») et griller les feux. Il y a de nombreuses occurrences de signalisation routière : Marguerite possède même un « feu piéton » dans sa chambre, qui sont autant de barrières morales métaphoriques que l’on choisit de transgresser ou non. Cette liberté est à double tranchant et lorsque l’on va trop loin, on se tourne naturellement vers la douceur illusoire de ses rêves d’enfant. Piloter un avion par exemple. Si la fin est si touchante, c’est parce que Marguerite et Georges se retrouvent comme deux gosses dans leur gros jouet, suspendus au-dessus de la vie, en train de faire une tragique bêtise à cause... d’une braguette ouverte !
D’un point de vue purement formel, c’est également un régal. On retrouve les circonvolutions hypnotiques habituelles d’une caméra parfois tremblante, en accord avec l’esthétique claudicante évoquée plus haut. L’appel de l’air final est souligné tout au long du film par de magnifiques prises de vue en plongée qui fondent sur les personnages comme sur des proies.
Bien sûr, beaucoup seront déboussolés et insensibles à tous ces charmes. Ils resteront cloués sur le tarmac tandis que les autres se délecteront de ces envolées parfois surréalistes. C’est le prix à payer pour ce magistral numéro de haute voltige.
- © StudioCanal
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Norman06 9 octobre 2009
Les herbes folles - la critique
Les Herbes folles n’est même pas un « grand film malade », pour reprendre l’expression de Truffaut : c’est une œuvre mineure manquée, semblable aux ratages des derniers Renoir (Le Testament du docteur Cordelier), Clair (Les Fêtes galantes) ou Chabrol (Bellamy). Si Resnais est un metteur en images fantastique, il n’a jamais été meilleur que lorsqu’il a collaboré avec des scénaristes inspirés, tels Marguerite Duras, Jorge Semprun, sans oublier Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri dont la verve des dialogues n’était pas pour rien dans la réussite de On connaît la chanson. Certes, un ouvrage littéraire moyen peut aboutir à un film magistral (c’était le cas de Mélo) . Mais ici, le matériau littéraire est de trop piètre qualité, au même titre que la pièce de théâtre dont Cœurs était l’adaptation. Seulement, dans cet avant-dernier opus, le montage de Hervé de Luze et la photo de Eric Gautier créaient malgré tout une certaine sensation de virtuosité et de maîtrise. Ici, on attend en vain la flamme (ou à défaut l’étincelle) qui permettrait au film de décoller. On sait par ailleurs que l’humour n’est pas ce que Resnais réussit le mieux, à moins de recourir à un second degré distancié (l’opérette Pas sur la bouche). Ici , le non marivaudage tourne aussi à vide que le burlesque des séquences contemporaines de La Vie est un roman ou la fantaisie de I want to go home.
Frédéric de Vençay 10 novembre 2009
Les herbes folles - la critique
"Les herbes folles" signe le retour en grande forme d’Alain Resnais : après l’atone "Coeurs", c’est le meilleur film du cinéaste depuis longtemps. Le film scrute l’humain et la romance dans ses élans fous, parfois inquiétants, toujours surprenants. Resnais, en bon surréaliste, veut nous faire ressentir (et non nous faire voir) cette série d’affects, et y parvient, avec une fantaisie et une liberté rares, grâce à tout une foule de procédés cinématographiques utilisés intelligemment : mouvements de caméra, usage de la musique et de la bande-son, effets de surimpression, cuts violents, doux ralentis qui suspendent le temps, voix-off délicieuse d’Edouard Baer... Sans désir de rationnaliser, on se laisse emporter avec plaisir, surtout au début, un peu moins vers la fin ; le radicalisme de Resnais est parfois un peu inutile, voire agaçant (le final en queue de poisson, avec les fameuses "croquettes"), mais donne lieu à de purs instants de grâce (le vol en avion comme image de l’explosion sensuelle, ou la scène de la première rencontre à la sortie d’un cinéma).
Que dire de plus ? Ah oui : Dussollier, dans l’un des meilleurs rôles de sa carrière (drôle, terrifiant, touchant, cruel, amoureux, merveilleux, mystérieux... on ne sait jamais comment le cerner), est tout simplement extraordinaire