Les Etoiles Vagabondes : Nekfeu, les pieds sur terre et la tête dans le ciel

Copyright : Nekfeu

Notre avis : A en juger Les Etoiles Vagabondes, il semblerait bien que Nekfeu ait trouvé une voie qui ne caractérise que lui. Pas facile pourtant pour celui qui, avec Feu et Cyborg, a involontairement engendré toute une batterie de rappeurs "nekfeuïen", pour le meilleur et surtout pour le pire. Peut-être est-ce là une première piste à explorer pour expliquer la réception plus contrastée des Etoiles Vagabondes par rapport à son second album quasi unaniment accueilli ; l’artiste ne cherchant plus du tout à plaire mais uniquement à faire ce qui lui plaît, une partie de son public se retrouve forcément sur le carreau. En cela, si en effet cette nouvelle fournée ne réserve que peu de surprises, elle peut malgré tout (doucement) déstabiliser tant elle s’inscrit dans l’évolution logique – entreprise depuis Cyborg – d’un rappeur libéré de certaines contraintes et barrières qu’il s’imposait. Désormais très discret, dégoûté par la célébrité, on retrouve avec Les Etoiles Vagabondes un Nekfeu qui témoigne du chemin qu’il a parcouru, intérieurement comme extérieurement, depuis son précédent projet il y a maintenant deux ans et demi. Le rappeur semble avoir suivi la même direction artistique que son compère Alpha Wann : si t’as pas ta place dans l’album, tu seras pas dans l’album. Ainsi, pour la première fois, la majorité des featurings, moins nombreux qu’à l’accoutumée, se font avec des personnalités extérieures à l’entourage proche de Nekfeu (= L’Entourage, justement, et le S-Crew), présent sur l’album pour leur capacité à s’être parfaitement immiscé dans l’univers du rappeur parisien, qui vit désormais partout, sauf à Paris.

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La démarche est cohérente ; puisque Nekfeu tend bien plus à produire de la musique sur lui-même et pour lui-même en premier lieu, Les Etoiles Vagabondes gravite uniquement autour de son auteur. Même lorsque des invités viennent y poser un couplet ou un refrain, ils se marient à l’atmosphère du morceau, au point de finalement se donner entièrement à la démarche artistique de Nekfeu. Le refrain de Némir ou encore la collaboration avec Vanessa Paradis, étonnante sur le papier mais parfaitement adaptée à la tonalité du morceau, se fondent intégralement dans l’environnement musical de Nekfeu, ce qui s’applique également pour Damso, tout en ne lui enlevant pas sa forte personnalité artistique. Le rappeur est arrivé à une forme de maturité, qui lui permet de s’ouvrir totalement via son écriture, mais en plus de cela d’opérer un travail formel capable d’apporter une plus-value émotionnelle considérable. Sur Les Etoiles Vagabondes, tout semble être le fruit d’une réflexion, avec le recul nécessaire à la construction d’un bloc bien formé et opaque, en même temps que le projet semble se nourrir de la spontanéité de son auteur. Des morceaux comme Les Etoiles Vagabondes ou encore Elle Pleut respirent la sincérité d’un homme qui se serait ouvert sur le moment, mais avec la recherche constante de la formule percutante et de la rime riche.

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Un peu trop fidèle à lui-même, Nekfeu retombe néanmoins dans ses travers à quelques reprises, alors qu’il force clairement la rime au détriment du sens. Celui qui dit pourtant dans Takotsubo "C’est trop simple d’être compliqué, c’est compliqué d’être simple", pêche par certaines de ses punchlines, brisant la balance entre complexité technique et force d’impact. Menteur, Menteur, bien qu’il soit un morceau entraînant, regorge de rimes alambiquées dysfonctionnelles qui viennent tirer le titre vers le bas. Sur 1h11 de cet album, les fautes de style se font rares (mais quand y’en a, on les crame direct par contre), ce qui permet au rappeur de les éclipser facilement par la consistance d’un album varié, bien plus que Cyborg (même si moins surprenant, justement parce que Cyborg est passé par là), et très souvent enivrant par son travail mélodique. La solitude du rappeur se ressent plus que jamais par la bulle qu’il crée à travers cet opus et qui parvient à emporter et à toucher. Parlant de lui, Nekfeu élargit le simple exercice égocentrique en y évoquant, par sa place dans le monde et ses incompréhensions, de nombreux sujets qu’il porte à bras le corps. L’envie de s’évader se perpétue malgré tout, malgré cette volonté de garder une attache avec le monde, en y abordant les discriminations sous de multiples formes. Nekfeu témoigne de son renfermement sur lui-même, avec des thématiques qui lui sont proches et personnelles (l’amour, toujours, encore et toujours, un peu trop toujours) en même temps qu’il s’ouvre, avec les nombreux voyages qu’il a entrepris ces deux dernières années et qui l’ont fait évoluer. La beauté des Etoiles Vagabondes réside notamment dans la capacité de Nekfeu à parler du monde et à en faire quelque chose de personnel, d’intime. La sensibilité du rappeur n’a jamais été aussi palpable que sur cet album, petit bijou mélancolique à ranger au côté de Cyborg.