Le 5 décembre 2018
Le grand virage des Clash s’incarne dans un double album métissé, où engagement et énergie rock s’entremêlent avec grâce.
Notre avis : Aux fans de la première heure, qui craignaient que par l’effet d’un double album, les Clash se soient soudainement convertis à la musique progressive, les dix-neuf morceaux confirment qu’éloignement du punk ne signifie pas apostasie du rock. D’ailleurs, c’est à Vince Taylor que le groupe le morceau emprunte Brand new cadillac, pour revendiquer la filiation d’une radicalité qu’un certain nombre de chansons prolongent par le biais de paroles engagées. Le passé des luttes ou le présent des combats se répondent harmonieusement : dans le rétroviseur, le sommet Spanish Bomb, qui revisite la guerre civile espagnole des années 30, rend hommage à Garcia Lorca, exalte les couleurs de l’anarcho-communisme ("They sang the red flag, they wore the black one"/"Ils chantaient le drapeau rouge, ils portaient le noir") ; dans le viseur, l’Angleterre de la crise, nouvellement convertie à l’horreur thatcherienne qui, non contente d’engendrer la misère sociale, accable les marginaux. Car il se pourrait bien que le junkie de Hateful soit le même homme recherché, dont Jimmy Jazz évoque l’absence sur un rythme swing. A moins qu’il ne s’agisse du jeune Rudie sur lequel une société agressive s’acharne ("First they curse, then they press me till I Hurt"/"Ils m’insultent les premiers, puis ils me foutent la pression jusqu’à me faire mal"). Mais pas de problème : les choeurs du refrain reggae, qu’enrobent cuivres et guitares, rassurent l’opprimé : "Rudie can’t fail"/"Rudie ne peut pas échouer". Dans ce contexte de haute tension, on ne s’étonne pas que les violences policières, symptômes d’une répression institutionnelle plus globale, soient la cible récurrente de cet album. Ainsi, The Guns of Brixton constate que la victime oppressée pourrait bien devenir un justicier, en état de légitime défense : "Quand ils frappent à ta porte d’entrée/Comment vas-tu arriver ?/Avec les mains sur la tête/Ou sur la détente de ton flingue".
Prolongeant une réflexion chère à la contre-culture des années 70, les Clash s’en prennent aussi à la société de consommation : les relégués de la crise tentent d’anesthésier leur malaise par la compulsion de l’achat, en guettant les promotions ("I came here for that special offer/Je suis venu ici pour une offre spéciale") ou en gardant précieusement les coupons des paquets de thé. Ces dominés de la working class sont ceux à qui s’adressent les chansons sociologiques du groupe, dont l’authenticité n’a pas pris une ride. Qu’on ne s’y méprenne pas : si la diversité musicale de ce chef-d’oeuvre s’accommode d’une énergie joyeuse, la société que dénonce les Clash s’est largement dupliquée à l’échelle mondiale. Et l’on aurait bien besoin, en ces temps troublés, de l’électricité d’un tel groupe pour accompagner les luttes sociales.
London calling, [The Clash] (Epic Records/CBS), 1979.
1. London Calling 3:19
2. Brand New Cadillac 2:09
3. Jimmy Jazz 3:52
4. Hateful 2:45
5. Rudie Can’t Fail 3:26
6. Spanish Bombs 3:19
7. The Right Profile 3:56
8. Lost in the Supermarket 3:47
9. Clampdown 3:49
10. The Guns of Brixton 3:07
11. Wrong ’Em Boyo 3:10
12. Death or Glory 3:55
13. Koka Kola 1:46
14. The Card Cheat 3:51
15. Lover’s Rock 4:01
16. Four Horsemen 2:56
17. I’m Not Down 3:00
18. Revolution Rock 5:37
19. Train in Vain 3:09
℗© 1979 CBS Records, under exclusive license to CBS Records UK limited
Galerie photos
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