Passé recomposé
Le 24 décembre 2003
Un premier roman illuminé par un propos juste et poignant notamment sur le travail de mémoire des générations survivantes à l’extermination des Juifs. Dommage que ses parties successives s’enchaînent si maladroitement.


- Auteur : Renaud Meyer
- Editeur : Pauvert

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Jeune journaliste parisien, Arnaud, le narrateur, fait un jour la rencontre de sa vieille voisine, Madame Krzysztofik, qui se met à lui raconter, lors de rendez-vous de plus en plus fréquents, sa vie d’avant la guerre, quand elle s’appelait Hannah, qu’elle vivait en Pologne et qu’elle était une comédienne si célèbre que sa renommée l’avait conduite aux Etats-Unis et à Paris où Louis Jouvet était devenu son amant. Captivé par ces récits d’un autre temps, ému par la solitude de cette femme qui a perdu toute sa famille dans des camps, le narrateur s’attache tant à Hannah K. que, quand il comprend combien l’histoire de sa voisine est encore plus étrange qu’il ne le soupçonnait, il n’hésite pas à poursuivre, seul, la découverte de ce passé.
Le roman de Renaud Meyer surprend à plusieurs titres : tout d’abord, parce qu’il est minutieusement documenté sur la culture, les rituels et les préceptes de la religion juive, à tel point que le lecteur trouvera en fin d’ouvrage un glossaire de termes yiddish, quelque peu déroutant dans le cadre d’une œuvre romanesque et pas franchement indispensable même pour le néophyte, dans la mesure où ces termes sont employés suffisamment à propos pour que le contexte éclaire leur signification. On soulignera néanmoins le talent du romancier pour créer une atmosphère prégnante et vivace qui, liée à l’âpreté des sujets abordés (la schizophrénie, le sort des juifs dans les ghettos polonais et le devoir de mémoire, entre autres), entraîne le narrateur et le lecteur dans un engrenage éprouvant.
En fait d’atmosphère, Renaud Meyer n’en crée pas une seule, mais trois, bien différentes, qui correspondent chacune à un temps du roman. Et c’est cette construction périlleuse qui fragilise Les deux morts d’Hannah K., parce qu’elle repose sur des ruptures de rythme d’une brutalité injustifiée. Roman dans le roman, les carnets de Hannah sont certainement à ranger parmi les récits les plus poignants sur la lente agonie des Juifs du ghetto de Varsovie. Mais ils éclipsent, à tout le moins rendent un peu fades, les deux autres parties du roman, qui posent pourtant les questions essentielles de la culpabilité des survivants et du poids de l’histoire sur la construction de l’identité des jeunes Israéliens.
Reste une interrogation qui taraude le lecteur : pourquoi Arnaud, et derrière lui, à peine caché, Renaud Meyer, se sont-ils lancés à corps perdu dans une aventure qui semblait à l’origine si peu les concerner ? L’auteur s’en est expliqué [1], évoquant une famille juive dans laquelle il a passé une partie de sa jeunesse, et son désir de lui rendre hommage. C’est là l’expression d’une générosité grave et bouleversante que l’on voudrait sentir plus souvent dans un premier roman en particulier et dans la littérature en général.
Renaud Meyer, Les deux morts de Hannah K., Pauvert, 2003, 299 pages, 18 €
[1] Dans Le Nouvel Observateur n° 2024 du 21 août 2003