Les Suisses, avait dit Boris Vian à son beau-père Arnold Kübler, vont à la gare mais ne prennent pas le train. Il exagérait. La preuve, le narrateur des Déménagements inopportuns quitte Zurich pour Paris. En laissant derrière lui sa femme et un petit mot sur la table de la cuisine : "J’ai besoin d’un peu d’air." Bon, d’accord, il fait vite le voyage retour. Mais il ne rentre pas chez lui : il prend une chambre à l’hôtel, retourne dans son appartement quand Hélène n’y est pas et se laisse glisser le long de souvenirs où s’entre-croisent son épouse et un amour de jeunesse perdu à Paris.
Avec son deuxième roman [1], Ivan Farron chemine sur le fil de pensées dans lesquelles son personnage rêverait de se perdre. Mais Zurich n’est pas Dublin et l’on n’est pas chez Joyce, que le narrateur évoque. Comme il évoque Vian, Nabokov, Hitchcock, Kafka ou Léo Mallet, des bouées auxquelles s’accrocher, un peu malgré soi, peut-être pour mieux s’oublier : "Les volumes de ma bibliothèque m’entouraient, rassurants. Il aurait été tentant de rester allongé sur mon sofa à attendre la fin du monde en lisant des romans, mais on m’aurait très vite demandé des comptes."
Fuir ? Dans le sommeil, oui. Ailleurs, c’est une autre histoire, qui n’est pas à la portée de chacun. Chronique érudite et pince-sans-rire d’une tentative de fuite, Les déménagements inopportuns n’a pas besoin d’un Zurich-Paris pour se lire. On le repose, sous le charme et l’esprit ailleurs - quelque part entre Lolita et une enquête de Nestor Burma -, avant même d’avoir franchi la frontière. De celles "qui nous permettent de sortir, un peu, de nous-mêmes". Ce qui est toujours ça de pris.