Ce qui s’impose, dans l’œuvre de Pierrette Fleutiaux, c’est la singularité de son regard, qui sait autant saisir les grands ensembles que le détail, le minuscule motif répété au quotidien : comment, par exemple, Raphaël et Paul, deux amis encore pris dans une gangue adolescente et petite-bourgeoise trouvent du plaisir à simplement marcher côte à côte, se heurtant régulièrement de la hanche ou de l’épaule en une sorte de baiser viril et pudique - un dialogue muet mais loin d’être de sourds. Car tout se dit, s’échange au rythme de ces déambulations sans but.
En plan large on verra la manière dont Léo et Camille, des jumeaux un peu étranges sont déplacés d’un pays à l’autre, d’un monde à l’autre, constamment dérangés dans leur apprentissage des règles et des atmosphères et donc poussés à quitter le moins possible leur pays intérieur, celui qu’ils partagent et façonnent depuis toujours et où ils ont accueilli - devrait-on dire attiré et pris au piège ? - Raphaël.
L’histoire est celle de ces trois-là, les jumeaux et leur complice, accusés du meurtre d’une jeune fille. Cela pourrait être une simple affaire d’occupation et de manipulation dès l’enfance d’un être vulnérable par deux autres que l’entente originelle, scellée autour d’un secret ante-natal, rend indestructibles. Mais chez Fleutiaux, rien n’est jamais aussi lisse et évident qu’il y paraît.
Car "l’occupé", le "manipulé" profite pleinement de la relation, y a gagné un relief, une densité, une dimension quasi-mythique que son existence de fils unique dévoué à sa mère veuve et à son copain Paul, avait peu de chance de lui apporter. Mieux, le voyage de Raphaël au cœur de la gémellité et de ses rites le conduira, à terme, à l’écriture. C’est donc que l’annexion de ses territoires intimes, de ses désirs et de ses projets par Léo et Camille, les magnifiques, les si fragiles aussi, aura également été l’occasion d’une bénédiction : au fil de cette relation tumultueuse, ponctuée de longs silences et parfois d’instants lumineux, inoubliables, il aura reçu le don de comprendre et de transmettre.
Ce don d’écrire, sous la plume aux chuchotements lyriques de Fleutiaux, a le pouvoir de nous entraîner en toute délicatesse dans des profondeurs où règne une lumière souvent plus riche et mouvante qu’à la surface.