Le 25 mars 2019
S’interrogeant sur le Mal dans une période troublée, Fritz Lang livre une œuvre presque austère, à la mise en scène de génie.
- Réalisateur : Fritz Lang
- Acteurs : Rudolf Klein-Rogge, Oskar Beregi, Otto Wernicke
- Genre : Fantastique, Noir et blanc
- Nationalité : Allemand
- Editeur vidéo : Tamasa
- Durée : 2h01mn
- Reprise: 17 avril 2019
- Titre original : Das Testament des Doktor Mabuse
- Date de sortie : 14 juillet 1933
L'a vu
Veut le voir
– Sortie du combo Blu-ray + DVD : le 16 avril 2019
Résumé : Devenu fou, Mabuse, le célèbre criminel, est interné dans un hôpital psychiatrique. Grâce à l’hypnose, il tient en son pouvoir Baum, le directeur de l’asile. Ainsi, il parvient à remettre sur pied une inquiétante bande de malfaiteurs, qui sera confrontée au commissaire Lohmann...
Notre avis : Tourné juste après M le maudit, Le testament du Dr. Mabuse est le dernier film allemand de Lang avant son départ pour la France, le temps du méconnu Liliom, et surtout pour les États-Unis où sa carrière prendra l’essor que l’on sait. Règlement de comptes avec un pays devenant fou, ce métrage réutilise un personnage fétiche (Dr. Mabuse le joueur, 1922) qui réapparaîtra une dernière fois en 1960, avec un autre sens dans un monde transformé par les écrans.
- Copyright Tamasa Distribution
Pour l’heure, en 1933, alors qu’Hitler arrive au pouvoir, l’urgence est de rendre compte de la folie qui s’empare de l’Allemagne en empruntant les voies balisées du serial et du roman feuilleton. La séquence initiale, muette, met en scène un flic corrompu prêt à se racheter, mais nous ne le saurons que plus tard, infiltré et caché dans une sorte de cave. Démasqué, il échappe de peu à la mort et de peur, devient fou. Voilà pour le programme : le dissimulé, la folie, les soubassements, tout y est ou presque. Ne reste plus à Lang qu’à dévider son fil narratif implacable, organisé autour de motifs récurrents et qui, de rebondissement en rebondissement, mêle le fantastique et le policier en un scénario délirant : les fantômes y côtoient la technologie de pointe (le disque qui se déclenche avec une poignée) dans une influence expressionniste parfois patente. On suit les péripéties, mais la mise en scène au cordeau ne cesse de titiller notre esprit, en lui suggérant des pistes allégoriques. Et pourtant Lang s’appuie sur un réalisme brutal (la séquence à l’agence pour l’emploi), mais ce réalisme débouche sur une perte des repères qui entraîne inévitablement les personnages vers l’aliénation. Car au fond, la question majeure du mal se pose sans cesse : même interné, même mort, Mabuse continue de sévir et de répandre le chaos, non pas par avidité, mais par désir, ivresse de destruction. L’homme est mauvais, il faut le purger par la violence. Or ce que suggère constamment le film, c’est que le Mal n’est qu’une influence, une entité abstraite, un ectoplasme (une surimpression, une silhouette en carton, un haut-parleur). Fini le génie du crime, place aux démons intérieurs qu’un discours peut enflammer. Difficile alors de ne pas voir dans ce vide aux commandes un autre fantoche, dangereux et fou, qui s’apprête à entraîner le monde dans une guerre effroyable.
- Copyright Tamasa Distribution
Mais ce qui sidère encore aujourd’hui, malgré le jeu théâtral et daté des acteurs, c’est la puissance d’une réalisation dans laquelle le hasard n’a pas de place : la composition des plans et le montage laissent pantois. La séquence du meurtre dans la voiture, par exemple, est d’une rigueur presque abstraite. De même ne se lasse-t-on pas de ces transitions subtiles : ainsi un comparse explique-t-il que certains veulent lâcher le chef, et sa réplique se poursuit sur l’image de Tom qui, justement, a ce projet. Lang refuse une virtuosité visible, préfère la plupart du temps un plan fixe dans lequel le cadre est un enfermement, une prison morale et physique, limite ses mouvements de caméra à des recadrages discrets. Et pourtant l’image ne cesse de se focaliser sur l’essentiel, qu’il soit spectaculaire, comme l’usine en feu, ou un simple détail signifiant (un pied qui dépasse, une main qui retombe, une loupe sur une feuille). Le film ressemble alors à ces papiers de Mabuse qu’il faut assembler pour en comprendre le sens, un rébus patiemment mis en scène comme le médecin fou met en scène son avatar ou le commissaire (celui de M le maudit) une rencontre pour découvrir le coupable. À ce jeu, le gagnant est le plus rusé ou le plus méthodique, en tout cas celui qui manipule et organise, Mabuse peut-être, Lang sûrement.
- Copyright Tamasa Distribution
Le testament du Dr. Mabuse est une course, une course contre la mort, contre la destruction, contre le temps, mais une course en espace clos : même la poursuite finale, morceau de bravoure raisonnablement étiré, est filmée la plupart du temps en plan resserré, la voiture paraissant immobile au milieu de traînées lumineuses. Paradoxe d’une œuvre fondée sur la péripétie et que le cadre contraint, statufie, à la manière des ses acteurs qui prennent volontiers des poses dramatiques. Malgré sa durée, il est porté par la nécessité d’aller à l’essentiel, de retrancher tout ce que le scénario pourrait avoir de complaisant ; hormis l’idylle un peu mièvre de Tom, on cherchera en vain des compromis ou de l’esthétique gratuite. D’ailleurs, dès que l’affaire est résolue, le film se termine, et cette fin ambiguë sonne plutôt comme une mise en garde que comme une issue rassurante : le psychiatre est fou, tout peut recommencer.
Les suppléments :
Dans le seul bonus sur les galettes, Un regard désespéré (19mn), Faruk Günaltay analyse le film de manière très classique comme une dénonciation du nazisme. Si l’argument n’est pas nouveau, la finesse et la précision du discours emportent le morceau. À quoi s’ajoute un livret en deux parties : la première est assez conventionnelle et informative, la seconde, un texte paru dans La revue du cinéma, ouvre davantage à la critique esthétique.
- Copyright Tamasa Distribution
L’image :
D’accord, il y a quelques points blancs, de légères fluctuations de luminosité, mais vu l’âge et l’importance du film, la beauté du noir et blanc dans cette restauration 2K ne peut qu’enthousiasmer.
Le son :
Un bruit de fond parfois très présent, une musique éraillée heureusement peu présente, mais des dialogues clairs, ce qui peut suffire. Pas de VF.
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.