L’attribution du Goncourt 2004 aux éditions Actes Sud s’est suivie d’une sorte de "Ouf !" consensuel. Car c’est de cela qu’il s’agit : si le choix a été largement approuvé, c’est que d’aucuns considèrent qu’il récompense moins un roman qu’un éditeur ; à la limite, un auteur, allusion ici à la jeunesse (tant en termes d’âge que de production romanesque de l’auteur). Il serait injuste d’affirmer que Le soleil de Scorta a bénéficié d’un prix usurpé, et pourtant...

L’objectif de Laurent Gaudé est ambitieux, peut-être trop et d’une certaine manière, son troisième roman pèche par excès d’orgueil. Comment, en effet, en seulement 250 pages, retracer la saga d’une famille maudite dont la lignée débute par un viol en 1875 ? Tout y est cependant : une terre âpre brûlée par le soleil, le Sud de l’Italie, un père fondateur violent, un fils illégitime rageur et criminel, des petits-enfants marqués du sceau de l’infamie, des rendez-vous manqués avec le destin... L’enchaînement des événements relève également de la tragédie grecque : crime de sang, vengeance, amour caché, poids du secret... Mais rien n’y fait, le récit ne décolle pas vraiment et n’atteint jamais les envolées lyriques d’un Garcia Marquez ou d’un Rushdie.

Laurent Gaudé reste en surface de son histoire et interdit tout attachement avec ses personnages : les artifices sont trop voyants et certains procédés tiennent surtout de la caricature. Les premières pages sont déjà dans le cliché : la description géographique, le retour de Luciano dans un village désert asphyxié par la chaleur... On entend presque la musique de Sergio Leone en arrière fond. Quant aux personnages de l’histoire, tant les simples villageois que les membres de la famille ou le curé, l’écriture trop conventionnelle les étouffe. Ils portent en eux les caractéristiques des monstres littéraires, mais ils ne sont pas exploités. Laurent Gaudé a opté pour l’économie dans la narration et dans l’écriture là où on aurait voulu de l’épaisseur, de la hargne, du déferlement de mots, plutôt qu’une succession d’images. Restent quelques instants de poésie et d’émotion... Insuffisants pour combler une frustration devant tant de potentialités.