Critique : Toucher aux trente dernières années d’un monument du cinéma soviétique (notons cependant que Sergueï Paradjanov était arménien), emporté par un cancer en 1990, constituait un pari périlleux. Le moins que l’on puisse dire est que le film Le Scandale Paradjanov, réalisé par le cinéaste français Serge Avédikian (Palme d’Or à Cannes en 2010 pour son court métrage d’animation Chienne d’histoire) mais aussi Olena Fetisova (qui est de nationalité ukrainienne et diplômée de la VGIK, école du cinéma de Moscou) est une réussite des plus jouissives. Spécifions que Serge Avédikian joue également Paradjanov avec brio : il a d’ailleurs eu le privilège de le rencontrer plusieurs fois et nous livre ainsi une double performance, aussi bien devant que derrière la caméra. Le Scandale Paradjanov fait tout autant travailler nos méninges (c’est une réflexion sur la place et la liberté de l’artiste, dans un régime autoritaire comme celui de l’ex-URSS) que nos zygomatiques (il ne s’agit ni d’un biopic fidèle, davantage d’un drame sans faire pleurer exagérément dans les chaumières, mais surtout d’une fiction aux ficelles humoristiques merveilleusement agencées).
Au début du long-métrage Le Scandale Paradjanov, nous aurions pu voir apparaître cette phrase de Beaumarchais, "Je m’empresse de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer", dans sa pièce de théâtre Le Barbier de Séville. Cette devise aurait très bien pu être adoptée par Sergueï Paradjanov qui semblait rire, en effet, de tout, de lui en premier lieu, mais aussi de la société dans laquelle il vivait. Le totalitarisme soviétique qui prenait facilement la mouche était une machine à broyer ceux qui ne s’inscrivaient pas dans son ornière. La prison, pour des motifs plus ou moins variés, exagérés, inventés, ouvrait vite ses portes aux personnes trop engagées et jugées déviantes. Il a été reproché à Sergueï Paradjanov, arrêté par la police ukrainienne, puis victime d’un procès expéditif, entre autres prétextes, son homosexualité (il était un fervent admirateur de Pier Paolo Pasolini).
Le grand talent de Sergueï Paradjanov est d’avoir métamorphosé la prison, où il passera cinq ans au cours des années 70, en lieu de création, car l’artiste s’y est adonné notamment à des collages et à des dessins. Enfermer l’imaginaire, ce roi malicieux de l’évasion, est hautement chimérique.