Le roman vrai de la manipulation - Vladimir Fédorovski - critique

Critique : Désinformation, propagande, manipulation…autant de procédés qu’on lie régulièrement au pouvoir politique. Dans un style quasi oral, Fédorovski, l’ancien diplomate russe devenu écrivain, raconte, en quelques pages, les moments clés des « manipulations » dont ont fait l’objet les dirigeants russes. D’Ivan le Terrible à Staline, dans une première partie consacrée à la manipulation dans l’histoire russe, puis « de la manipulation considérée comme l’un des beaux-arts dans la seconde », avec un chapitre consacré aux femmes. Ces pastilles sont divertissantes et peuvent se lire comme des nouvelles : les anecdotes sont indépendantes les uns des autres, même si un effort chronologique a été fait.

Le problème vient du terme même de la « manipulation » : là où l’on peut voir de la stratégie, l’auteur, désireux de livrer les coulisses du pouvoir, utilise le terme sans mesure, pouvant citer des sources d’archives déclassifiées, au même titre que des articles parus dans Psychologie magazine. Ce mélange hétéroclite, regroupé sous un titre dans l’air du temps des théories du complot, aurait pu ôter le sérieux de ce livre. Mais si la rigueur scientifique n’est pas tout à fait à l’œuvre dans cet ouvrage, cela n’empêche pas d’apprécier sa lecture : la plongée dans l’Histoire russe est fascinante. Cela tient aux nombreux détails dans chaque récit : l’écriture est précise, sans fioriture. Des noms, des dates, des lieux, pour mieux raconter la manipulation, notamment pendant la période du communisme. Il s’agit clairement de la partie la plus intéressante, parce que la plus méconnue dans ses rouages : comment Gorbatchev est-il arrivé au pouvoir, pour quelles raisons ?

Rétrospectivement, tout cela a une dimension fascinante, renforcée par la livraison brute des événements. On rejoint là le titre de l’œuvre « Le roman vrai de la manipulation » : la réalité semble parfois si extraordinaire qu’elle pourrait tout aussi bien n’être qu’une fiction. Les faits sont donc racontés comme des enquêtes, sans que le locuteur ne se mette en scène.

Pourtant, l’intérêt de ce livre réside dans son auteur, qui a eu accès à des archives ou qui a côtoyé certains protagonistes. Sa posture n’est pas uniquement celle d’un conteur, mais bien celle d’un militant. Un militant de l’information, en faveur de la démocratie, contre l’opacité des gouvernements qui dirigent le monde. Ainsi, ce livre n’est pas qu’un simple recueil d’anecdotes ou une remise en cause de la politique, mais bien une invitation à dépasser l’ère de la post-vérité, celle qui tient à celui qui l’a dit, pour mieux affronter les enjeux géopolitiques actuels.

Mieux connaître les coulisses de l’Histoire permet d’y apporter un regard critique beaucoup plus profond que celui que livre l’actualité. En dépit de son titre quelque peu racoleur, le texte de Fédérovski participe à raconter la géopolitique et à interroger les conséquences des choix opérés autrefois. Il n’y a pas de main invisible qui manipule le monde, mais bien des manœuvres de pouvoir, à des moments donnés, qui donnent alors les directions que la majorité du monde va devoir emprunter. Autant mieux en connaître les mécanismes.