Poésie
Le 1er novembre 2020
La poésie, entre cageot et poignée de porte.


- Auteur : Francis Ponge
- Editeur : Gallimard
- Genre : Poésie
- Nationalité : Française

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Critique : "Et d’ailleurs que sont les mots, sinon des choses ? N’ont-ils pas plusieurs dimensions, à cause de leur épaisseur sémantique ? Ne sont-ils pas irréductibles ? C’est un monde concret pour en exprimer un autre." [1]
Le groupe surréaliste annonçait un nouvel ordre des choses, et le poème doit servir à rendre visible ce qui ne l’est pas. Le parti pris des choses réhabilite l’objet ignoble (non noble) comme le cageot, la cigarette ou l’orange, révèle le mystère de la fonction utilitaire et exprime le rapport des hommes aux poignées de porte.
Ponge se réclame d’une contre-rhétorique : il faut dire "ce qui doit être pour que cela soit : la parole précède l’existence, le verbe préside à l’être et le mot anticipe la chose". Le poète doit posséder la connaissance sensible du monde. Son regard doit être objectif : refaire le monde, c’est inciter les choses à se produire (et ne pas se contenter de quelques vers). Ce qui inspire Francis Ponge, ce sont les objets qui n’inspirent pas. Mais pour "pouvoir énoncer les choses, il faut dénoncer les mots", et c’est ainsi que dans Le parti pris des choses, le terme est saisi comme une réalité, dans la forme même d’une lettre, qui détient une valeur concrète. Le poème du Gymnaste commence ainsi : "Comme son G l’indique le gymnaste porte le bouc et la moustache que rejoint presque une grosse mèche en accroche-cœur sur un front bas"... Les gymnastes ont changé depuis longtemps, mais l’exaltation naturelle du lecteur de poésie subsiste. Si vous en êtes fou, vous testerez vous-mêmes les proêmes de Francis Ponge : éprouvez le bonheur immense de "tenir dans [vos] bras une porte". La chose est prise à bras-le-corps, la porte est à "empoigner au ventre par son nœud de porcelaine". Est-elle un obstacle, qu’y a-t-il derrière ?
La poésie, c’est d’la fumée de cigarette, ce goût sec, qu’elle fasse tourner la tête. Est-elle de circonstance ? Les objets le sont, mais les choses nous échappent parfois. Ponge leur donne une forme solide : l’objet n’est plus un instrument pour l’homme, il est celui sans qui nos phrases n’aboutiraient jamais. Il faut entrer en contact avec la chose, jouer avec les mots, prendre la parole, pour que l’objet jubile et nous montre ce qu’il est. "L’objet. L’objeu. L’objoie."
Francis Ponge, Le parti pris des choses, 1942, Poésie Gallimard, 3 vol., 20,69 €
[1] Francis Ponge, Nouveau nouveau recueil, 1943