Mina, au pays du réel.
Le 13 novembre 2011
Quand la réalité rattrape la fiction, cela donne Le Miroir : une oeuvre vertigineuse qui, tout en adoptant un parti-pris esthétique radical, sait jeter un regard tendre et lucide sur les contradictions de l’enfance.
- Réalisateur : Jafar Panahi
- Genre : Comédie dramatique, Documentaire
- Nationalité : Iranien
- Durée : 1h34mn
- Date de sortie : 21 décembre 2011
- Plus d'informations : Le site du distributeur.
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- Avec Mina Mohamad-Khani
– Année de production : 1997
– Léopard d’Or à Locarno en 1997
Quand la réalité rattrape la fiction, cela donne Le Miroir : une oeuvre vertigineuse qui, tout en adoptant un parti-pris esthétique radical, sait jeter un regard tendre et lucide sur les contradictions de l’enfance.
L’argument : Mina, une petite écolière, attend comme tous les jours sa mère à la sortie de l’école. Mais cette fois, celle-ci tarde à venir.
Mina décide alors de rentrer chez elle par ses propres moyens. Mais elle ne connaît pas son adresse !
Durant son périple, dans la ville bouillonnante, elle va croiser de nombreux adultes auxquels elle tiendra tête.
Têtue et obstinée, mais aussi imprévisible, Mina fera tout pour retrouver le chemin de la maison...
En 1997, Le Miroir obtient le Léopard d’Or à Locarno. Alors que la presse et le public des festivals s’enthousiasment et que Jafar Panahi vient d’obtenir un beau succès avec Le Ballon Blanc, Le Miroir va rester curieusement inédit en France.
Notre avis : Peu d’oeuvres suscitent un étonnement comparable à celui du Miroir. D’emblée, le style documentaire de Panahi crée avec l’héroïne du film une proximité fascinante et trompeuse. En quelques plans, nous voici aux côtés de Mina, cette jeune écolière qui attend sa mère à la sortie de l’école. La scène pourrait s’appeler "sortie d’école" ; tout y est : les cris des enfants, les institutrices bavardant avec les parents, les bribes de conversations arrachées au hasard. Qu’importent les imperfections techniques, qui ne font qu’ajouter au charme et au réalisme de l’ensemble. L’intérêt sera ailleurs, dans l’art de transformer en destin ce qui, de prime abord, relevait d’une situation quotidienne.
Ce destin, c’est justement celui d’une jeune fille perdue dans la ville ; perdue mais responsable, destinée à braver tous les dangers. Le réalisme social se mêle ainsi à la trame du conte pour nous livrer, du point de vue de la fillette, un portrait de l’Iran des années 90. Un portrait touchant par sa retenue et sa volonté de dépasser les clichés réducteurs auxquels nous ont habitué certains médias pour interroger des clivages plus profonds, ou disons : plus universels. Non que l’exclusion des femmes et les inégalités sociales n’intéressent pas le cinéaste qui livre ça et là des anecdotes émouvantes, comme cette grand-mère abandonnée par sa famille, et qui prend la peine de nous rappeler combien la jeune fille "dérange" les adultes auxquels elle s’adresse (essentiellement des hommes). Mais Le Miroir va bien au-delà d’une simple dénonciation politique. Il interroge la matière-même du regard.
Mina, en jouant son propre rôle puis en s’y refusant, effectue un trajet initiatique inversé par rapport à celui d’une "Alice au pays des Merveilles" : au lieu de s’affranchir du monde de l’enfance, elle refuse de le quitter. Acte radical. La fermeté de son regard est sans équivoque, d’un bout à l’autre : je resterai une enfant. Nous l’imaginions "de notre côté", nous pensions que son regard, celui du cinéaste et le nôtre étaient identiques ; mais voilà qu’au beau milieu de la fiction, cette unité vole en éclats. Une rupture s’inaugure. Mina fixe la caméra, se refuse à jouer. "Ne regarde pas la caméra", demande Jafar. "Je ne veux plus jouer dans le film", réplique-t-elle. "Eteignez la caméra". Le Miroir est brisé et la vérité paraît alors au grand jour : il ne fait plus aucun doute que Mina est une enfant. Une enfant comme les autres. Le film pourrait se clore ainsi, par une interdiction. Mais c’est précisément ce à quoi Jafar et son équipe se refusent.
Contre mauvaise fortune, ils nous livrent alors l’histoire de Mina qui se refuse à jouer dans le film. L’histoire d’un résistant, Jafar Panahi, qui redouble d’astuces et de bricolages pour que son Miroir tienne debout. L’histoire d’un créateur prêt à abolir la fiction, à délaisser toute forme d’artifice pour réaliser l’acte qui est peut-être, en lui-même, le moins réaliste du monde : filmer le réel, de manière brute. Brutale, pourrait-on dire. Mais c’est "filmer" qui importe, comme une urgence, plus encore que l’objet du film. La portée du geste en devient politique, au point que le bris du miroir donne lieu à un éloge de la fiction, d’une fiction à retrouver, d’une fiction indissociable de la liberté créatrice. Suivons donc Mina jusqu’au bout, dans sa recherche d’une avenue, d’un taxi. Ne la laissons pas interdire. Demandons-lui encore de bien vouloir jouer dans le film. Dans ce film qui n’en est pas un. Et qu’importe si elle refuse : Jafar filmera quand même.
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