Le 24 février 2021
Sortir de l’ombre dans les limites de l’acceptable... Jafar Panahi est passé maître dans l’art de la suggestion, sans toujours réussir à éviter les pièges tendus d’une censure très puritaine.
- Réalisateur : Jafar Panahi
- Genre : Court métrage
- Nationalité : Français, Iranien
- Date télé : 27 février 2021 01:10
- Chaîne : Arte
- Date de sortie : 27 février 2021
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Jafar Panahi (Le Cercle, Ceci n’est pas un Film, Taxi Téhéran, Trois visages...) qui, en dépit des censeurs de son pays, continue de tourner clandestinement, signe avec Hidden un voyage à la recherche d’une jeune femme à la voix d’or à qui les autorités religieuses interdisent de chanter. C’est l’un des quatre courts métrages qui composent le "Film Celles qui chantent", sorti en salles en juillet 2020 et signé par Jafar Panahi, Sergei Loznitsa, Karim Moussaoui et Julie Deliquet.
Critique : Depuis le XIXème siècle, les allégories de la censure, sous les traits d’Anastasie, l’affublaient de ciseaux. On devine quels usages elle en faisait. Au cinéma, l’interdiction est aussi souvent évoquée symboliquement par des draps tendus qui couvrent et cachent ces seins et ces corps féminins que l’on ne saurait voir. Sous le regard de Jafar Panahi dans l’Iran des mollahs, ces voiles islamiques qui tombent et volent au vent y paraissent paradoxalement moins centraux qu’un drap tissé au fil du puritanisme. Dans ce court métrage habilement intitulé Hidden, le réalisateur de Taxi Téhéran continue à nous habituer à ses ruses de chauffeur, pour braver l’interdit. Ce contournement de la censure atteint ici sa limite dans la matérialité d’un drap derrière lequel se cache la chanteuse recherchée. La gradation de la prohibition s’y déroule en trois temps : la censure officielle qui sévit en Iran, celle que l’on préfère s’imposer soi-même, en détournant le regard, en tournant le dos et l’interdiction fondée sur une complète intégration de normes morales dans un climat familial traditionnel et qu’il est impossible de surmonter.
Ce road movie métaphorique s’amuse des codes cinématographiques et le fait d’avoir été produit et commandité par l’Opéra national de Paris souligne la dimension symbolique et universelle du message. En partant de la situation d’un cinéaste empêché par les autorités de son pays, le propos du court métrage se construit autour d’objets dont la signification est aussi imagée. Par exemple, cette voiture qui sillonne villes et campagnes à la recherche d’une voix d’or, ce téléphone portable révélateur autant de la débrouillardise d’un cinéaste sans caméra que de sa connexion au monde, ce drap rappelant le mur de Jericho dans New York Miami (1934) de Frank Capra et que l’on peut associer à des séquences cultes dans Le jour se lève de Marcel Carné ou Et Dieu créa la femme (1956) de Roger Vadim. Les objets sont choisis pour leur polysémie cinématographique et connotative. Une voiture de taxi pour échapper à la vigilance des autorités, une capacité à prendre le monde à témoin en filmant avec un mobile connecté au reste du monde, un drap qui cache et suggère, ces éléments sont privilégiés pour se jouer du puritanisme de la censure, pour donner de la voix (l’image du drap blanc a pour effet de renforcer l’écoute) : tout concourt à érotiser la succession de huis clos qui mettent un homme au milieu de femmes.
C’est aussi l’une des conséquences bien connues de l’animadversion que d’attirer l’attention sur l’objet interdit, l’objet de désir qui se refuse au regard, veut rester en retrait, silencieux, mutique. La maîtrise que les plus grands créateurs ont acquise face à l’improbation leur aura quelque fois permis d’être élevés au rang de génies. Hitchcock n’aurait jamais été le maître du suspense que l’on sait, sans s’adapter aux règles contraignantes du code Hays. Ainsi, grâce à ce film de Jafar Panahi présenté par son assistant Pooya Abbasian, qui n’est pas sans rappeler l’écran de cinéma, cette invitation à lever le voile, à écarter le rideau et à faire tomber le drap a pour effet de sortir de l’ombre et faire entrer la lumière sur le tabou du désir interdit.
Le deuxième court métrage de la soirée met en scène un autre usage du tissu dissimulateur. En effet, le point de vue d’Eve Chems de Brouwer, la réalisatrice de Sous l’écorce, offre une variation sur l’identité féminine et la difficulté à se montrer telle que l’on est au regard de l’autre. Le drap sert à se cacher et à se protéger, avant de pouvoir s’assumer.
ARTE diffuse en avant-première Hidden du réalisateur iranien Jafar Panahi, dans le magazine "Court-circuit", dès le samedi 27 février à 1h10 et sur arte.tv.
Il sera également disponible à partir du mercredi 10 mars sur la nouvelle plateforme VOD de l’Opéra national de Paris, l’Opéra chez soi, dans le cadre de "3e Scène".
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.