La dure vie de star
Le 15 mai 2021
Bravant la justice de son pays, Jafar Panahi est allé imaginer une fiction qui lui permet d’interroger les responsabilités de son statut de célébrité. Et même si sa réalisation bricolée n’a rien de novatrice, le cinéaste n’a visiblement rien perdu de son envie de modernité.
- Réalisateur : Jafar Panahi
- Acteurs : Jafar Panahi, Marziyeh Rezaei, Behnaz Jafari
- Genre : Drame
- Nationalité : Iranien
- Distributeur : Memento Distribution
- Durée : 1h24mn
- Date télé : 16 mai 2021 22:50
- Chaîne : Arte
- Titre original : Se rokh
- Date de sortie : 6 juin 2018
- Festival : Festival de Cannes 2018
L'a vu
Veut le voir
Résumé : Une célèbre actrice iranienne reçoit la troublante vidéo d’une jeune fille implorant son aide pour échapper à sa famille conservatrice... Elle demande alors à son ami, le réalisateur Jafar Panahi, de l’aider à comprendre s’il s’agit d’une manipulation. Ensemble, ils prennent la route en direction du village de la jeune fille, dans les montagnes reculées du Nord-ouest où les traditions ancestrales continuent de dicter la vie locale.
Critique : Il est nécessaire de se rappeler du passé d’assistant de Jafar Panahi sur les films d’Abbas Kiarostami pour voir en l’étonnant road trip qu’il propose aujourd’hui l’héritage direct du Goût de la cerise, le film qui, en 1997, avait valu une Palme d’Or à son mentor.
La fascination des Iraniens pour la mort y est là encore au cœur de tous les échanges, qu’ils soient émouvants ou décalés. Dès la scène d’ouverture, filmée via un téléphone portable en format selfie, c’est effectivement de l’acte du suicide dont il est question puisqu’on assiste au monologue d’une jeune fille sur le point de se pendre.
Apparaît alors un autre élément, dont, peut-être, avait-on minimisé l’importance dans la société iranienne : le cinéma. La personne à qui s’adresse cet appel à l’aide est en effet Behnaz Jafari, actrice populaire en son pays, que nous avons notamment pu voir dans Le Tableau noir (2000) ou Une famille respectable (2012). Selon un surprenant système de mise en abyme, celle-ci, mais aussi Panahi lui-même, vont jouer leur propre rôle - on regrettera alors que que leur relation caricaturale révèle un scénario qui laisse peu de place à l’improvisation - dans une quête visant à en savoir plus sur cette adolescente et assumer leur part de responsabilité face à sa disparition.
Le postulat est particulièrement intéressant en ce sens qu’il va permettre de confronter ces personnalités de cinéma à une réalité aux antipodes de l’imagerie romanesque que véhicule généralement leur art. La recherche de ce qui est arrivé à Marziyeh, les obligeant à enquêter, de village en village, et ainsi assumer le poids d’un deuil généré par vidéos interposées sur Instagram.
L’idée est alléchante ; dans un format minimaliste, celui d’un véhicule qui rappelle la réalité politique du pays et la situation personnelle de l’auteur, assigné à résidence et interdit de tourner la moindre image, le road trip relève aussi de l’exploit. La présence du film à Cannes est pour beaucoup un miracle, son existence aussi. Il démontre qu’à raison d’avoir les moyens financiers et les autorisations pour faire du cinéma, Jafar Panahi, chauffeur dans le film, s’est converti à la débrouille, au "dogme" malgré lui, avec les réserves cinématographiques que certains mettront en avant, mais également, paradoxalement sa liberté totale de choix, en tant qu’auteur.
Malgré les longueurs qu’elles suscitent du fait de certains dialogues qui semblent inutilement interminables, les différentes rencontres faites au fur et à mesure de cette épopée atypique, dans une région montagneuse de traditions, assure au dispositif un degré de qualité d’écriture supplémentaire. Elles mettent ainsi en évidence une mentalité patriarcale que l’auteur a toujours voulu combattre, au prix de sa liberté. L’émancipation des femmes semble être un concept lointain dans ce folklore surprenant –les coups de klaxon pour circuler et les codes autour de la cérémonie de circoncision notamment sont révélateurs du fossé entre le monde moderne, y compris en Iran, et ce coin reculé du monde.
Dans pareil contexte, les deux stars de cinéma représentent inévitablement une certaine modernité, et, pour certains, un modèle à suivre. C’est d’ailleurs auprès de ceux-ci que le réalisateur nous révèle se sentir le plus proche, tant on ressent sa volonté d’aider la jeune génération à s’extirper du carcan ancestral pour alimenter ce cinéma iranien auquel il a lui-même de plus en plus de mal à contribuer dans les conditions politiques qui lui sont imposées. Nonobstant, le cinéaste assujetti par la loi n’a rien perdu de son ingéniosité ni de sa pertinence pour affronter les interdits et l’absurdité du système, légitimant ainsi sa place en Compétition officielle.
– Compétition officielle Cannes 2018
– Prix du Meilleur Scénario - Cannes 2018
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.