La mauvaise herbe
Le 11 août 2023
L’un des sommets du cinéma de Téchiné. Ce beau récit sur les rêves impossibles est un modèle de réussite du film romanesque. Nicolas Giraudi compose un beau personnage d’ado tourmenté, auprès de Catherine Deneuve et Danielle Darrieux.
- Réalisateur : André Téchiné
- Acteurs : Danielle Darrieux, Catherine Deneuve, Claire Nebout, Wadeck Stanczak, Victor Lanoux, Jacques Nolot, Nicolas Giraudi, Jean-Claude Adelin, Jean Bousquet, Christine Paolini
- Genre : Drame, Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Romance, Mélodrame, Teen movie
- Nationalité : Français
- Distributeur : AMLF Distribution
- Editeur vidéo : Why Not Productions
- Durée : 1h30mn
- Date télé : 11 août 2023 21:00
- Chaîne : France 5
- Date de sortie : 16 mai 1986
- Festival : Festival de Cannes 1986
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Résumé : Thomas, adolescent de treize ans, s’ennuie un peu dans le petit village du Sud-Ouest ou il vit entre son adorable mère et ses chers grands-parents. Sa rencontre avec deux fugitifs va faire brutalement basculer sa vie ainsi que celle de sa famille.
Critique : Le lieu du crime apparaît rétrospectivement comme l’un des plus beaux films d’André Téchiné. À partir d’Hôtel des Amériques (1981), le cinéaste a opté pour une veine romanesque, sans renoncer toutefois à l’éclatante distanciation qui faisait la force de Souvenirs d’en France (1975) ou Barocco (1976). On retrouve ainsi des éléments du Téchiné première période dans la présente œuvre : allure fantomatique de Martin, diction monocorde mais juste de certains seconds rôles (Jacques Nolot, Jean Bousquet, Christine Paolini), subtilité du travail sonore (l’inaudible salut d’une Lili gênée, mêlé au bruit de moteur de scooter du prêtre). La première partie du récit, très hitchcockienne, surprend agréablement par les ruptures de ton et de genre (suspense criminel, chronique familiale), d’autant plus que la « star » Deneuve se fait attendre, laissant la vedette au jeune Nicolas Giraudi, remarquable de sensibilité et d’aisance face à la caméra. La seconde partie, d’une sombre mélancolie, contient des séquences d’anthologie : le malaise de Martin dans la discothèque (sur fond de Jeanne Mas), le repas de première communion gâché (inoubliable panoramique pendant le discours de la mère, sur fond de valse de Strauss), l’aveu du meurtre à Alice, la fuite de Thomas sous la pluie... Les notes de Philippe Sarde, à la fois omniprésentes et d’une beauté discrète, forment un modèle de partition musicale, et contribuent à l’émotion contenue que distille ce récit des impossibles fuites. Le scénario, limpide et dense en même temps, établit plusieurs correspondances entre les personnages.
Lili, Martin et Thomas
Adolescent à la fois fragile et rebelle, Thomas s’invente un monde imaginaire qui n’est que « mensonges » pour les adultes qui l’entourent. Sa rencontre avec Martin, par le danger qu’elle procure, marque une transition vers l’âge adulte. Inversement, la régression infantile de Lili, amoureuse d’un criminel, semble inexorable. Le catalyseur de ces mutations n’est pas un ange pasolinien mais un spectre humain, qui a la beauté ténébreuse et dérangeante de Wadeck Stanczak. Sa présence rapproche la mère et le fils, mais sera aussi à l’origine de leur séparation. La séquence emblématique sera celle dans laquelle Thomas surprend Lili et Martin en train de faire l’amour.
Alice, Martin et Luc
Amoureuse de deux bad boys, qu’elle considère comme ses frères, et qui ont eux-mêmes des liens ambigus, Alice est prête à tout pour les retrouver, quitte à organiser une improbable cavale sur les routes de France et d’Espagne. Elle n’hésite pas à menacer une paisible hôtelière, mais se montrera compréhensive et humaine vis-à-vis de l’enfant qu’elle prend en stop. Le jeu nerveux de la débutante Claire Nebout lui donne une apparence à la fois inquiétante et touchante. La séquence emblématique la voit se déshabiller, avec hors-champ un rassemblement de jeunes communiantes.
Lili et sa mère, Lili et Maurice
Séparée d’un mari possessif (Victor Lanoux en brute amoureuse), exerçant sur elle un odieux chantage aux sentiments, Lili n’a pu mener l’existence qu’elle rêvait. Elle reproche à sa mère de lui avoir fait mener une vie provinciale étriquée, loin du cadre idyllique de Paris. Le geste qu’elle accomplira en mémoire de Martin sera une façon de rompre définitivement avec les nœuds familiaux. Faut-il y voir une allusion autobiographique de la part de Téchiné ? Très certainement, d’autant plus que le personnage de Manuel Blanc dans J’embrasse pas (1991) fera écho à Lili mais en décidant, lui, de quitter son Sud-Ouest natal. Remplaçons la passion pour un criminel par l’amour homosexuel et l’on comprendra aisément que le personnage de Lili symbolise les hésitations face à tout acte de transgression. En gardienne des convenances, la mère de Lili est un pourtant un modèle d’humanité, et Danielle Darrieux lui apporte un forte charge émotionnelle. On sait que le cinéaste rêvait d’un « Sonate d’automne » avec les deux actrices, qui n’eut pas l’aval des producteurs, mais dont on trouve ici la trace par l’affrontement (et la complicité) de deux monstres sacrés : il faut voir Catherine Deneuve et Danielle Darrieux, visages défaits par la pluie et ne former que des pleurs, pour mesurer l’amour que leur porte le cinéaste. La réplique emblématique sera ici le « Va-t-en » que lancera la mère.
Film d’auteur mais aussi, on l’aura compris, d’acteurs, Le lieu du crime, qui représenta la France au Festival de Cannes 1986, constitue donc la quintessence d’un certain cinéma français.
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