Le 2 février 2021
Et si pour une fois la chasse aux sorcières était à prendre dans un sens positif ?
Isabelle Sorente propose une forme de manifeste qui vise à réconcilier les femmes avec elles-mêmes.
Résumé : Avec le complexe de la sorcière, l’autrice Isabelle Sorente nous propose une plongée dans sa psyché guidée par une figure énigmatique, celle d’une sorcière. Sous couvert d’une enquête sur un cauchemars récurent, Isabelle Sorente tente de renouer avec son passé afin de pouvoir mener une vie de femme épanouie.
Critique : Un visage glabre, famélique, apeuré, c’est ce que voit Isabelle Sorente depuis quelques nuits. Si cette apparition presque cauchemardesque n’effraie pas l’autrice, elle lui laisse malgré tout un sentiment étrange, presque de malaise.
Très vite, des détails vont la mettre sur la piste.
Et si cette jeune femme apeurée était en réalité une sorcière ? Et si ce cauchemar était en vérité le souvenir traumatique qu’un de ses ancêtres aurait vécu et qu’il lui aurait transmis ?
Ce qui n’était au départ qu’un simple cauchemar se transformera en quête pour l’autrice, qui cherche à comprendre la symbolique de ce rêve.
A cette aune, la première partie du roman recontextualise toute l’histoire de la chasse aux sorcières, grâce à de nombreux ouvrages théoriques, mais également grâce à de témoignages d’inquisiteurs. Dans ces livres, sont ainsi décrits les actes de tortures que subissaient ces pauvres victimes accusées de maléfices, mais aussi les procès ou encore l’ensemble des chefs d’accusation formulés contre elles. Petit à petit, la frontière se brouille entre les femmes, les sorcières, et cette chasse devient très rapidement un moyen pour les hommes d’asseoir leur domination et de manifester leur sadisme, en massacrant des représentantes de l’autre sexe.
Pourtant, en s’intéressant à cette période trouble de l’Histoire européenne et en parlant de la sorcière qui hante ses nuits, l’auteure va verbaliser un sentiment qu’elle ne parvenait pas à extérioriser. Et si cette chasse aux sorcières était toujours présente dans nos sociétés ? Et si celle-ci était, en vérité, plus insidieuse, plus perverse ?
En s’immergeant dans son passé, l’écrivaine va ainsi démontrer que l’Inquisition est toujours là et que les femmes sont encore aujourd’hui victimes des mêmes haines qu’autrefois. Cette nouvelle forme d’oppression prendra, par exemple, la consistance d’une voix intérieure qui n’a de cesse de répéter à Isabelle Sorente qu’elle n’est pas assez belle, qu’elle mange trop. Elle se cristallisera aussi dans l’attitude de certains camarades d’école, qui vont la harceler de nombreuses années.
Ainsi, cette figure de la sorcière, loin d’être inquiétante, est plutôt à comprendre en tant que symbole de son inconscient, qui vise à la réconcilier avec elle-même. Comme si cette incarnation concentrait en elle toute les oppressions subies. C’est d’ailleurs la thèse qu’on retrouve à la fin du roman : toutes les femmes doivent renouer avec la sorcière qui est en elles et c’est d’ailleurs de cette manière que le roman se termine.
En effet, Isabelle Sorente conclut son texte par une dernière partie dans laquelle elle relate un week-end passé avec ses amies : tour à tour, elles se confieront sur leur vie respective et évoqueront ce que représente pour elles la féminité et à quel point il est encore difficile de l’assumer.
Avec ce roman, ou plutôt ce témoignage, Isabelle Sorente propose une forme de manifeste qui vise à réconcilier les femmes avec elles-mêmes.
320 pages
7,50 euros
Première publication : 8 janvier 2020
La chronique vous a plu ? Achetez l'œuvre chez nos partenaires !
Le choix du rédacteur
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.
Kirzy 13 février 2021
Le complexe de la sorcière - Isabelle Sorente - critique du livre
Le récit s’ouvre sur une vision apparue à l’auteure, une scène terrible, l’interrogatoire d’une femme accusée de sorcellerie, des instruments de torture en métal chauffés en blanc, un inquisiteur menaçant. Un autre siècle. Quoi que ... Cette vision tourne à l’obsession et lance l’enquête d’Isabelle Sorente sur les chasses aux sorcières des XVI-XVIIème siècles. Jusqu’à un télescopage temporel.
Si la figure de la sorcière dans l’historiographie féministe est classique et largement abordée ces dernières années, la thèse du complexe de la sorcière est très neuve et audacieuse.
« le complexe de la sorcière serait ce soupçon permanent de soi instillée aux femmes torturées, ou aux femmes témoins de la torture d’autres femmes de leur famille ou de leur entourage. L’interdir portant sur la vérité, qu’elles ne peuvent ni chercher ni dire, sous peine de torture. (...) Comment l’Inquisiteur, avec une majuscule, l’Inquisiteur a pu être assimilé, intériorisé, enfoncé à coups de marteau, imprimé au fer rouge, puis oublié mais conservé à l’intérieur de la psyché comme un corps étranger après une opération chirurgicale, transmis de mère en fille et de grand-mère en petite fille, comme un juge toujours en exercice, toujours prêt à mettre en doute, à haïr et à condamner la conscience d’une femme ».
L’idée du empreinte psychologique transgénérationnelle, des chasses aux sorcières ayant laissé une empreinte occulte dans la psyché des femmes, d’un inquisiteur intérieur « hérité » depuis des siècles est séduisante sur le papier.
La difficulté avec les romans à thèse, c’est que pour les apprécier totalement, il faut adhérer à leur postulat de départ. Et dans ce cas-là, je n’ai jamais été convaincue par les aller-retours, les parallèles entre la sorcière d’hier et la femme d’aujourd’hui qui en subirait l’empreinte.
Bien sûr que les femmes du XXIème doivent lutter contre leur inquisiteur intérieur, mais les passerelles entre leurs difficultés actuelles ( injonction à la minceur, mépris des femmes seules, peur des vieilles femmes, autocensure, peur de dire son ressenti profond ) et les sorcières m’ont semblé calquées un peu artificiellement.
Là où j’ai été convaincue, c’est lorsque Isabelle Sorente évoque son adolescence douloureuse en oubliant ses sorcières. Ses mots, tout en retenue et dignité, sont justes et vibrant d’émotions pour dire le harcèlement scolaire très violent qu’elle a subi durant tout le collège. L’éclairage genré sur la réaction des parents est très pertinent : le fils qui s’est fait attaqué une fois dans la cour se voit offrir par le père un cours de self-défense, là où elle, la fille, reçoit de la mère « oui, ça m’est déjà arrivé » et puis c’est tout.
Certes je n’ai pas adhéré à la thèse de l’auteure mais cette dernière fait montre d’une belle réflexion, on sent derrière chaque page une pensée vive qui fouillent les failles de notre société en livrant son expérience personnelle avec une grande sincérité.