Le 22 juillet 2021
- Scénariste : Delphine Panique>
- Dessinateur : Delphine Panique
- Genre : Voyage, Absurde
- Editeur : Misma Editions
- Famille : Roman graphique
- Date de sortie : 16 avril 2021
- Plus d'informations : https://www.misma.fr/produit/un-bea...
Un voyage immobile, graphique, poétique et envoûtant.
Résumé : Un bateau stagne sur une mer d’huile. En l’absence de toute brise, le capitaine et son mousse, attentifs à la houle, discutent (ou plutôt le capitaine monologue, régulièrement relancé par son subordonné) à propos des contrées merveilleuses qui les entourent mais qu’ils ne peuvent atteindre du regard.
Avec ce nouveau récit particulièrement imposant en termes de pagination, Delphine Panique nous embarque dans un voyage immobile et visuel. En effet, cette thématique offre un espace propice au vagabondage de l’esprit, à la dispersion dialogique puis à la fuite de la raison. Pour passer le temps et écarter cette peur palpable du vide, les marins échangent et convoquent des récits et paysages dont le merveilleux se mesure à la planéité de leur horizon réel. Dans un premier temps, le livre parle donc de la disparition de ce qui devrait être et qui, par son absence, redéfinit l’ontologie des choses : un bateau déplace des personnes avec du vent, mais sans alizée, l’embarcation perd cet usage naturel, il ne bouge plus. Cet immobilisme annule le voyage physique et le déplace sur le plan du concept, sur celui de l’imaginaire. En évoquant les différentes îles de la carte, souvenirs ou anecdotes liés à la marine, les matelots proposent par leur conversation une traversée mentale qui revient toujours au même point de départ, le bateau, immobile. Assez rapidement surgit la question de l’existence des îles décrites par le capitaine et de la véracité de certaines péripéties racontées. Toutes ces remises en cause deviennent vertigineuses lorsqu’un troisième personnage fait irruption, le cuisinier, émettant des bulles qui proviennent de la cale du bâtiment. Cette arrivée plonge le récit dans une dimension métaphysique, déjà présente mais qui prend ici le devant de la scène. Ce nouveau protagoniste, qui demeurera invisible, intervient comme une conscience, comme un moment de basculement où la raison perd définitivement pied. Bien entendu, on pense assez rapidement à Becket et son En attendant Godot, et cette empreinte reste très présente le long de l’album. Loin d’être encombrante, cette connexion (il est difficile de parler de citation) avec le théâtre de l’absurde permet à la fois de prendre d’autant plus plaisir au récit, mais aussi, et surtout, de goûter les singularités de l’autrice, la délicatesse de sa narration, mais surtout la poésie qu’apporte le dessin, essentielle dans cet album.
Delphine Panique - Misma
En effet, les élucubrations des divers personnages sont en partie alimentés par un travail formel remarquable où le dessin se hisse en ressource narrative inépuisable. Delphine Panique, qui a plus d’une fois montré l’étendue de son talent, déploie ici une inventivité graphique impressionnante qui participe pleinement à l’envoutement du récit. Usant d’un trait ostensiblement simple, elle démontre avec brio qu’un dessin minimaliste ne correspond pas nécessairement à une pauvreté formelle. Bien au contraire, elle dresse ici un dictionnaire ou un répertoire de formes évocatrices, elliptiques, délicates, belles et équilibrées. Elle ne se livre aucune fioriture, laisse son trait dans sa nue simplicité au premier plan de l’image, et même plus au premier plan du récit. On ne se lasse pas de contempler les différentes îles aux contours et détails variables qui composent chacune une proposition plastique originale. Ainsi, l’invention graphique capte davantage le regard et l’intérêt du lecteur que le potentiel narratif de ces images : pour le dire autrement, le plaisir que l’on éprouve à regarder les images passe devant celui que l’on pourrait prendre à s’imaginer explorant ces différentes terres. D’une certaine manière, nous pourrions même envisager cet album comme une intrigue qui serait essentiellement visuelle. Mais nous ne tomberons pas dans cette tentation, tant ce serait faire défaut à l’écriture délicate et parfaitement ciselée de l’autrice. Ce serait aussi oublier de dire à quel point cet album est drôle et que l’évolution du récit et des rapports entre les personnages est d’une très grande richesse.
Delphine Panique - Misma
De Vol nocturne à Orlando ou En temps de guerre, Delphine Panique renouvelle son vocabulaire visuel tout en restant dans un style graphique reconnaissable entre mille. Elle continue d’explorer des narrations différentes, des thématiques variées, des formats distincts, et chacun de ses livres est une île merveilleuse dans laquelle on se sent bien, composant des unités autonomes et denses que l’on aime aborder ou retrouver. Si Moebius proposait de penser les histoires en forme de maison ou d’éléphant, Delphine Panique bâtit, petit à petit, un archipel singulier, beau et stimulant.
Delphine Panique - Misma
324 pages - 19 €
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Galerie Photos
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