La brute, c’est le truand, évidemment, El Torito, le petit taureau. La légende raconte qu’il aurait été abandonné à sa naissance et qu’il aurait été élevé, tel l’enfant sauvage, au milieu des bêtes. Livré à lui-même, tourmenté par de sombres appels, Abraham Diaz serait devenu bandit, aurait volé des troupeaux de bœufs, pillé des fermes, assassiné, avec ses compères de mauvaise fortune, tous ceux qui se trouvaient sur son chemin et séduit toutes les femmes. Alors, à la simple évocation d’El Torito, les villageois "se cachent dans les greniers, sous les lits, ferment les portes et les femmes tremblent d’émotion, enfermées dans les coins sombres où elles ruminent des désirs insatisfaits".

Et pourtant, quand la police le retrouve, après vingt ans de traque, à Santa Fe, en Argentine, dans son atelier de cordonnerie entouré de sa femme et de ses filles, que reste-t-il de la légende ? Se pourrait-il que cet homme doux et bon soit la brute sanguinaire à qui on prête tant d’horreurs ? Serait-ce lui que le lieutenant Ramirez poursuit comme un fantasme, une obsession vitale, ne reculant devant rien pour capturer la bête ?

Dans son deuxième roman traduit en français, Miguel Littin nous emmène dans une chevauchée fantastique à travers le sud du Chili, faisant fi des lois de l’apesanteur, de la géographie et de la chronologie. Conte poétique, où les crimes n’adviennent qu’en souvenirs, en rêves ou en mensonges, la vérité n’est rien, balayée par le merveilleux et le surnaturel qui font l’épopée victorieuse d’El Torito.