Le chef-d’œuvre inconnu
Le 8 décembre 2009
Réalisé un an après La femme au portrait dont il reprend de nombreux éléments, ce film noir de Fritz Lang s’affirme comme une pièce bien ficelée, dans le pur style classique.


- Réalisateur : Fritz Lang
- Acteurs : Edward G. Robinson, Joan Bennett, Dan Duryea, Margaret Lindsay, Charles Kemper, Samuel S. Hinds, Rosalind Ivan, Vladimir Sokoloff
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Swashbuckler Films, Les Films du Camélia
- Durée : 1h42mn
- Date télé : 29 janvier 2024 23:25
- Chaîne : Arte
- Reprise: 18 septembre 2024
- Titre original : Scarlett Street
- Date de sortie : 29 janvier 1947

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– Sortie en version restaurée : 18 septembre 2024
– Année de production : 1945
Résumé : Modeste caissier, peintre à ses heures perdues, Cross vient au secours d’une jeune femme, Kitty, dont il devient fou amoureux. Celle-ci a un amant, Johnny. Avec la complicité de celui-ci, elle va manipuler Cross, en vendant ses tableaux sous son propre nom. Lorsqu’il découvre l’existence de Johnny, Cross décide de tuer Kitty.
Critique : C’est le syndrome du démon de midi : quand un homme sent que l’âge mûr menace de virer au rabougri, il est temps de s’inventer un rôle de héros, quitte à courir quelques drôles d’aventures. À ceci près que chez Fritz Lang, les instants de gloire ne durent qu’un instant, et que les enchaînements de déconvenues qui accablent ses personnages démontrent bien que, selon l’expression, « le roi est nu ». Jumeau de La femme au portrait, réalisé un an plus tôt et avec lequel il partage de nombreuses caractéristiques - de la photographie à la distribution -, La rue rouge est l’histoire d’une série de ratages et de tentatives (plus ou moins désespérées) de rattrapages, menés par des êtres banals et qui ne déchaînent pas des mouvements naturels d’empathie. Maîtrisant parfaitement la conduite de son récit, le cinéaste profite de cette distanciation pour jouer sur les registres et les codes de différents genres, de sorte que le film, s’il s’inscrit dans la tonalité du « film noir » classique tel que le style s’affirme à Hollywood à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dialogue aussi avec des passages de romance - volontairement « bon marché » - et de comédie, comme les scènes où l’on voit Chris Cross (un patronyme déjà risible), interprété par Edward G. Robinson, entièrement dominé par sa femme qui lui fait porter le tablier à fleurs et assumer toutes les tâches domestiques.
La rue rouge se laisse ainsi apprécier suivant différents niveaux, selon que l’on soit amateur de Lang ou non. Pour les cinéphiles avertis, le film est un exercice virtuose de thème et variations, où les signes de reconnaissance, de croisement (entre les différents longs-métrages et périodes du cinéaste) et d’autodérision sont légion ; c’est aussi un défi qui prend à bras le corps la direction d’acteurs, puisque Joan Bennett et Edward G. Robinson, couple impossible et jamais consommé, se retrouvent ici de nouveau face-à-face sans tomber dans la redite. Néanmoins, pour les novices, il est tout à fait possible de goûter simplement à la finition léchée d’une trame ajustée au millimètre, servie par une mise en scène où rien n’est laissé au hasard, dans le plus bel âge d’or du classicisme élégant en noir et blanc - au propre comme au figuré -. Sans dévoiler le fin mot de l’histoire, les mécanismes psychologiques sont rendus, à la manière d’un Hitchcock, à travers des effets « expressionnistes », censés faire culminer l’angoisse et le suspense. Comme souvent chez le cinéaste, le film se laisse parfois tirer jusqu’à une satire discrète et plutôt bienveillante sur les milieux de l’art et de l’argent - moins éloignés qu’il n’y paraît -, qui fascinent des individus crapuleux et prêts à tout pour parvenir à leurs fins. Si le cinéma, pour paraphraser Godard, se résume à une fille et un flingue (a girl and a gun), La rue rouge et ses coins obscurs n’en est pas très éloignée.
Notes : Remake de La chienne (1931) de Jean Renoir, d’après le roman de Georges de La Fouchardière.