La dernière valse
Le 12 mai 2004
Camille Claudel revisitée dans une valse aussi triste que bouleversante.


- Auteur : Michèle Desbordes
- Editeur : Verdier
- Genre : Biographie

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Durant trente années, Camille Claudel a attendu son frère à Ville-Evrard, puis à l’asile de Montdevergues. La robe bleue est le récit de cette attente imaginée par Michèle Desbordes. Une valse aussi triste que bouleversante.
D’elle, on connaît surtout cette photo prise alors qu’elle avait vingt ans. Son regard mélancolique fixe l’objectif. Elle se tient droite, les lèvres serrées et seules les boucles de cheveux tourbillonnent, légères, pour flotter sur une dentelle nouée à la va vite sur sa blouse. Mais ce n’est pas cette image qu’a choisi Michèle Desbordes pour raconter Camille Claudel. Ce sont deux autres photographies. La première, bien réelle, a été prise par une camarade d’atelier alors que Camille âgée de soixante-sept ans vivait recluse dans un asile depuis déjà près de vingt ans. La seconde a été imaginée par l’auteur. La vieille dame a quitté sa chasuble grise pour revêtir une robe bleue à l’occasion d’une visite de Paul qu’elle pressent être la dernière. Paul, ce frère qu’elle a attendu des années durant après son enfermement en 1913. Ce frère qui préférait parcourir le monde d’Asie en Amérique tandis que Camille, assise sur une chaise dans le parc de l’asile de Montdevergues, les mains croisées, scrutait désespérément l’allée d’où pourrait surgir la silhouette de l’être tant aimé.
La robe bleue est le récit de cette attente imaginée par Michèle Desbordes. "Je me la figure là à attendre sans rien dire, et depuis si longtemps, comme si elle n’avait jamais connu ni révolte ni violence", et pourtant Camille, a lutté durant les premières années de son internement forcé. Elle a appelé au secours, lettre après lettre mais ni sa mère qui n’a jamais été la voir ni même son frère ne l’ont entendue. La révolte a fini par laisser place au silence et seuls les souvenirs furent les compagnons d’amertume de Camille. Elle se souvient de Rodin, son fol amour, qu’elle épiait, cachée dans les buissons de son jardin à Meudon, elle revoit bien avant le tumulte des linges froissés où le maître la prenait après l’avoir modelée, "disant qu’il achetait des fragments de dieux, que contempler cela était le bonheur", elle se rappelle la glaise pétrie avec fièvre pour façonner le buste du jeune frère, mais surtout elle entend le bruit des chevaux quai Bourbon qui vinrent l’emmener de force un petit matin à Ville-Evrard, quelques jours après la disparition d’un père, qui l’avait jusqu’alors protégée de la vindicte familiale.
Camille attend et consulte ce petit carnet où elle a consigné chacune des quelques visites de son frère. Après trente années d’internement, la frêle vieille dame sait que ce sera bientôt la dernière rencontre. Alors, elle rêve de cet ultime rendez-vous où elle irait avec Paul revoir une dernière fois cette mer qu’elle aime tant et se fait confectionner une robe couleur océan. "Elle ne voit plus que cela, le rêve, ce qu’on peut appeler le rêve, c’est-à-dire ce qui d’un grand coup d’aile, sur la soie des paupières, se lève et se déploie, haut et chatoyant comme une flambée d’étoiles."
Les souvenirs et les quelques espoirs de Camille défilent lentement au gré de longues phrases qui se succèdent tels les pas d’une valse déchirante. Le dernier mouvement s’achève sur cette photographie magnifique imaginée par Michèle Desbordes. Les mots deviennent sable, vent et étoffe... Ce coton bleu qui s’illumine comme les yeux de Camille, beaux, graves, bouleversants.
Michèle Desbordes, La robe bleue, Verdier, 2004, 153 pages, 11 €