Critique  : En tant que reporter nature, Peter Heller sait écrire les sensations qui assaillent l’homme loin de toute civilisation – l’odeur fraîche des berges, la douce chaleur humide qui tombe une fois la lune levée, les sons de la forêt, de ses oiseaux et de ses animaux. Le bruit des arbres qui brûlent. Céline Leroy a également un don pour parvenir à saisir l’essence des mots de l’auteur et les retranscrire en français – ou plutôt en langage du corps, effluves, frissons, échos étouffés.
Wynn et Jack rêvent depuis des mois de cette descente de la Maskwa River jusqu’à la baie de l’Hudson, de cette langueur, du courant et des bras qui tiraillent sous le soleil déjà plus froid de cette fin d’été. Mais leur tranquille périple est menacé par l’incendie qui engloutit les arbres, affamé, dévore les oiseaux, avale les nuances de vert pour ne laisser que de la cendre grise derrière lui. L’auteur immerge son lecteur dans un paysage d’une grande acuité, où chaque élément gagne en netteté à mesure que les pages se suivent. Le rythme des paragraphes est aussi changeant que le courant d’une rivière, ondoyant d’une phrase courte à une phrase longue, d’une poétique description des bois à un bref énoncé sur les ressentis de Jack et de Wynn. En effet, même si La rivière est un roman de nature-writing, l’âme humaine y a également une place prégnante. Jack est têtu, méfiant, parfois ombrageux. Wynn est confiant, doux, rêveur. S’ils jouent de cette complémentarité lorsque les eaux sont calmes, le tumulte qui les cueille risque de la transformer en une tendre mais inébranlable adversité. Les arbres les isolent, bouclier d’émeraude bientôt coiffé d’ambre qui transforme cette plongée dans la vie sauvage, ce souffle de liberté, en un huis-clos étouffant, adouci par les envolées aériennes – lorsque la poétique enflammée de certaines phrases, confinant au sublime, ne renforce pas cette angoisse pesante.