Un film parlé
Le 10 novembre 2009
Un sens de la poésie, une inventivité formelle, un présent continu, Eugène Green perpétue son style au gré de ses réalisations. La religieuse portugaise confirme son talent de récitant.


- Réalisateur : Eugène Green
- Acteurs : Adrien Michaux, Leonor Baldaque, Beatriz Batarda, Carloto Cotta, Diogo Dória, Eugène Green
- Genre : Drame
- Nationalité : Portugais
- Date de sortie : 11 novembre 2009

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– Durée : 2h07mn
– Titre original : A religiosa Portuguesa
Un sens de la poésie, une inventivité formelle, un présent continu, Eugène Green perpétue son style au gré de ses réalisations. La religieuse portugaise confirme son talent de récitant.
L’argument : Julie de Hauranne, une jeune actrice française parlant la langue de sa mère, le portugais, mais qui n’a jamais été à Lisbonne, arrive pour la première fois dans cette ville, où elle doit tourner dans un film inspiré des Lettres de la Religieuse Portugaises de Guilleragues. Elle se trouve vite fascinée par une religieuse qui vient prier toute les nuits dans la chapelle de Nossa Senhora do Monte sur la colline de Graça. Au cours de son séjour la jeune femme fait toute une série de rencontres, qui, à l’image de son existence antérieure, semblent éphémères et sans suite, mais après une nuit où elle parle enfin avec la religieuse, elle entrevoit le sens de sa vie et de son destin.
Notre avis : Né aux États-Unis, Eugène Green s’installe à Paris dès la fin de son adolescence et adopte la nationalité française. Passionné par la culture portugaise, il pose ses valises à Lisbonne, le temps de La religieuse portugaise. Inspiré des Lettres Portugaises de Guilleragues, le film résonne comme une déclaration d’admiration et de fidélité du cinéaste à l’égard de ce pays. Tout d’abord parce qu’il choisit Leonor Baldaque, resplendissante, actrice fétiche de Manoel de Oliveira, qui semble en permanence se fondre dans les rues de Lisbonne. Ensuite, parce qu’il fait de la capitale un actant à part entière du récit. L’héroïne se promène dans les rues vides qui pourraient apparaître comme des dédales si la photographie éthérée n’apportait pas calme et douceur aux lieux. Le fil d’Arianne se trouve en la jeune femme qui, au gré de ses visites et de ses rencontres, va évoluer vers une sérénité existentielle.
Le personnage de Leonor Baldaque, Julie de Hauranne, est à Lisbonne pour le tournage du film La religieuse portugaise, sous la direction d’un réalisateur, interprété par Eugène Green lui-même. Il ne s’agit pas d’une « Nuit américaine », à peine un métafilm. L’attention est portée sur la réflexion et la progression de cette actrice en recherche d’amour et de connaissance. Entrant dans une chapelle pour la visiter, une fascination se met à grandir en elle à l’égard d’une religieuse qui vient se recueillir toutes les nuits. La foi n’entre pas en ligne de compte, la religieuse pourrait être une apparition, le symbole d’un tournant dans la vie de la jeune femme, un pas vers l’acceptation de ce qu’elle est (« Nous ne sommes qu’une » lui dit son double). Elle chemine pour comprendre où le bas blesse, faire taire son sentiment d’incomplétude qui la taraude et définir son identité.
Comme toujours chez Eugène Green, les personnages récitent leur texte. D’amateurisme, il n’en n’est pas question, bien au contraire : cette diction relève d’un respect profond de la langue et du texte. Le réalisateur du Pont des Arts évite toute psychologie en gardant une approche aussi fidèle que possible au texte original. En 2001, il réalisait Le monde vivant, une adaptation d’Yvain, le chevalier au lion de Chrétien de Troyes dans lequel il ne cherchait pas le réalisme (chevaliers en jean, un chien à la place du lion) mais bien à retranscrire l’esprit de cet auteur majeur du Moyen-âge. Dans cet esprit, les films d’Eugène Green sont proches de Perceval le gallois d’Eric Rohmer dont tous les décors sont construits en aluminium sur un plateau permettant de se concentrer sur la signification profonde des mots prononcés et d’inscrire la narration dans une intemporalité. Dans La religieuse portugaise, pas un seul instant nous ne pouvons douter que nous sommes bien au cinéma mais il n’y a pas besoin que cela soit crédible, juste que cela soit vrai. C’est là toute la force du cinéma d’Eugène Green : une complexité textuelle, dans un récit qui s’étire au présent pour une œuvre inspirée et significative. Ou plutôt signifiante.