Le 6 septembre 2016
Un beau film dérangeant, mal aimable, mais profond et très riche.
- Réalisateur : Eugène Green
- Acteurs : Natacha Régnier, Mathieu Amalric, Maria de Medeiros, Fabrizio Rongione, Victor Ezenfis
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Belge
- Editeur vidéo : Blaq Out
- Durée : 1h55mn
- Box-office : 26386 entrées
- Date de sortie : 20 avril 2016
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– Sortie DVD : le 6 septembre 2016
Résumé : Vincent, un adolescent, a été élevé avec amour par sa mère, Marie, mais elle a toujours refusé de lui révéler le nom de son père. Vincent découvre qu’il s’agit d’un éditeur parisien égoïste et cynique, Oscar Pormenor. Le jeune homme met au point un projet violent de vengeance, mais sa rencontre avec Joseph, un homme un peu marginal, va changer sa vie, ainsi que celle de sa mère.
Notre avis : Il faudrait d’abord prévenir : ce film commence par décontenancer, et l’on n’est pas loin de jeter l’éponge, goguenard, dès les premières minutes ; en effet la diction des acteurs, atone et privilégiant les liaisons même les plus inhabituelles (« j’ai un plan (n) à te proposer » !) paraîtra saugrenue, y compris aux admirateurs de Bresson. Entendre parler tous les personnages de cette manière demande un temps d’acclimatation.
Et puis surprise, on se sent petit à petit fasciné par cette préciosité, qui va s’accorder magnifiquement avec ce que Green nous raconte. Préciosité de la diction, certes, mais aussi du chant (voir la très belle séquence dans l’église, qui commence par la récitation à l’ancienne d’un poème de Racan, Épitaphe pour son fils, et se conclut par le théorbe et la voix), de certains cadrages ou éclairages.
- Copyright Les Films du Losange
Le fils de Joseph raconte le trajet moral et physique de Vincent, élevé par sa mère et qui ne connaît pas son père. Or il découvre son nom en fouillant dans un meuble, le rencontre, le violente légèrement, puis rencontre son oncle sans savoir qui il est, le Joseph du titre, et s’enfuit en Normandie, avec sa famille recomposée et un âne. Le tout est divisé en cinq chapitres qui font référence explicite à la Bible.
Voilà pour l’argument apparent. Mais, on s’en doute, Green ne se contente pas de cette fable linéaire : l’histoire est prétexte d’abord à mythifier le réel, c’est à dire, dans une démarche anti-naturaliste, à élever une anecdote au rang de fable édifiante. Ce faisant, il tire des fils narratifs qui font la jonction entre la Bible (le temps du mythe), le présent et l’intemporel (le temps de l’art).
À partir de ces fils se construit une histoire aux multiples variations sémantiques, une histoire à la fois limpide et infiniment complexe.
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Tirons l’un de ces fils : de toute évidence, l’un des thèmes majeurs est celui de la paternité. Mais ce thème ne cesse d’être trituré dans tous les sens, sous forme très concrète (Oscar ne sait plus combien il a d’enfants), marchande (le jeune homme et son industrie du sperme), allégorique (les deux tableaux, du Caravage et de La Tour), « sociologique » (qu’est-ce qu’un père aujourd’hui ?) , historique (les statues dans le parc), etc. De cette multiplicité d’occurrences naît une construction complexe, qui peut aboutir à un précepte (« c’est par son fils qu’on devient père ») ou à une image (la scène finale).
De même le mouvement général du film peut-il se lire de différentes manières : on pourrait dire qu’il s’agit de quitter un monde pour un autre, celui du début avec sa violence (le rat torturé), sa bêtise (la secrétaire, la critique littéraire), sa vulgarité (la culotte), pour un monde épuré, réduit à l’essentiel (la mer, la famille choisie, la bonté). À ce dépouillement thématique correspond un dépouillement stylistique : Green épure ses images, et traduit une sorte d’émerveillement devant l’anodin, la rencontre (Bonnaffé et son âne), la possibilité de l’authentique.
- Copyright Les Films du Losange
Changer de monde, c’est aussi de manière symbolique rejeter une fausse culture, celle des salons littéraires, des faux écrivains, celle aussi du Boulevard (l’adultère avec la secrétaire), des statues « bourgeoises » et atteindre la haute culture, celle des grands peintres, celle du chant et de la poésie. Autrement dit passer du superficiel à l’essentiel, de la monstration à l’intime. En ce sens la paternité est aussi pour le cinéaste la transmission de la beauté et de l’art, ce qui, on en conviendra est aussi ambitieux qu’anachronique.
On le voit, sous des apparences austères et dérangeantes, Le fils de Joseph est un film riche et intelligent, qui mérite qu’on fasse l’effort d’y entrer, de s’accoutumer à ses particularités. À ce prix, on découvrira aussi bien de multiples niveaux de lecture que de purs moments d’émotion, voire même de comique.
Les suppléments :
Un seul bonus, La manière, entretien entre le cinéaste et Natacha Régnier, filmé et « joué » comme un film de Green. Une curiosité donc, mais qui intéresse en ce qu’elle est une sorte d’art poétique singulier, bourrée d’informations, de la « pensée en mythes » à la suppression des adverbes dans les dialogues en passant par le refus du jeu psychologique. Bref, pour qui aime le film, c’est une mine d’éclaircissements doublée de la lecture de poèmes du maître (38 minutes).
L’image :
Bien dans la norme d’un DVD actuel, même si on remarque çà et là quelques légers défauts de finesse.
Le son :
Le travail sur le bruitage et les voix, plus les quelques occurrences musicales, est respecté de belle manière par les deux pistes (2.0 et 5.1). Rien de spectaculaire évidemment, mais tout est parfaitement audible et clair.
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