Le 16 avril 2024
Avec ce dernier volet sur la maladie psychiatrique en Île-de-France, Nicolas Philibert termine en beauté ce qui ressemble à un conte où la souffrance mentale s’incarne dans les objets du quotidien.
- Réalisateur : Nicolas Philibert
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français
- Distributeur : Les Films du Losange
- Durée : 1h12mn
- Date de sortie : 17 avril 2024
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Résumé : Dernier volet du triptyque initié avec « Sur l’Adamant » puis « Averroès & Rosa Parks », le film poursuit sa plongée au sein du pôle psychiatrique Paris centre. Ici, le cinéaste accompagne des soignants bricoleurs au domicile de quelques patients soudain démunis face à un problème domestique, un appareil en panne, etc…
Critique : On les avait connus à l’accueil de jour de l’Adamant pour la plupart. Nicolas Philibert s’invite cette fois au domicile des personnes en situation de handicap psychique, non plus dans un espace de soins, mais dans leur intérieur. On parle de résidences inclusives ou de pensions de famille, surtout plus d’hôpital ou de clinique. Ils sont chez eux, pour longtemps, après que certains ont vu leur existence se confondre avec l’errance, entre hospitalisations répétées et déambulations malheureuses. La machine à écrire et autres sources de tracas aborde la maladie psychiatrique à travers des visites à domicile où des soignants et des techniciens s’ingénient à rendre vivables les lieux de vie de ces gens. Pour le premier, il s’agit de réparer la machine à écrire qui lui sert à consigner depuis des années près de huit mille poèmes ; tandis que pour l’autre, cela concerne la chaine stéréophonique qui lui permet de sortir de la solitude grâce à la voix de ses chanteuses préférées. En terminant son triptyque sur la maladie mentale, Nicolas Philibert assume une vision plus légère, plus optimiste, n’hésitant pas à nourrir le dialogue entre ceux qu’il filme et lui-même.
- Copyright Les Films du Losange
La machine à écrire et autres sources de tracas témoigne absolument de la manière parfois dont la souffrance psychique peut se cristalliser sur des objets du quotidien. Pour un patient, il lui est impossible de se séparer des choses de sa vie. On se faufile dans le bazar pour accéder au lit qui ressemble plus à un fauteuil inondé par les livres et les peintures. L’homme est artiste, il s’arrête sur chaque photographie, chaque disque, chaque peinture qui racontent à leur manière la richesse de son existence. Puis, la fatigabilité l’emporte, et il se replie dans son vide intérieur. Le réalisateur ne multiplie pas les personnages, comme cela avait été le cas dans les deux premiers volets. Il va à l’essentiel de ce que recouvre la maladie psychiatrique, entre handicap invisible, désarroi, perte de repères et faillite pour une insertion professionnelle durable. Les regards sont à la fois remplis et abrutis par les médicaments qui les maintiennent en vie et en adéquation avec les normes de la société.
Le documentaire de Nicolas Philibert choisit un format court de moins d’une heure quinze. L’enjeu est de dé-psychiatriser les patients qu’il rencontre en centrant le regard sur la manière dont ils s’incarnent dans un quotidien où les produits peuvent dysfonctionner et la douceur de vivre est souvent complexe à atteindre. Le spectateur est frappé par la solitude qui transpire dans les murs. Pourtant, derrière les fenêtres, on aperçoit les jeunes gens jouer au basket ou les enfants se ruer dans la cour de récréation. Les personnes filmées sont de ce point de vue en plein cœur du monde et de l’autre, dans une solitude profonde qui les coupe du quotidien des habitants de Paris. Prendre le métro pour acheter à Châtelet une affiche semble un parcours du combattant, ce qui les amène à se replier dans l’espace clos de leur appartement et de leur psyché.
- Copyright Les Films du Losange
Comme les deux premiers segments, Nicolas Philibert ne juge pas. Il ne montre pas la folie dans ce qu’elle peut avoir d’exubérant et d’effrayant. La maladie psychiatrique se loge dans le silence de ces studios où les personnes apprennent à composer avec leurs histoires intimes, obsessions et hallucinations visuelle ou sonores. Ils ne ressemblent surtout pas à des fous et c’est justement ce qui grandit le projet de Nicolas Philibert. Le réalisateur très expérimenté se présente à eux comme s’il n’avait plus rien à prouver au cinéma mais juste à raconter des histoires, leurs histoires, et à les transformer en joyaux.
La machine à écrire et autres sources de tracas termine Sur l’Adamant et Averroès et Rosa Parks dans une langue cinématographique très tendre, débarrassée des scories de la folie. Le dernier volet humanise ces regards, qui pourraient, dans les institutions, être réduits à des pathologies. La relation qui se crée entre les malades, les soignants, le réalisateur et le spectateur fait œuvre d’un cinéma vivant, espiègle, où la joie de vivre prend le pas sur la détresse de la maladie psychiatrique.
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