Terrence Malick opus 3 : la nature comme temple
Le 9 août 2016
S’écartant de la voie traditionnelle du film de guerre, Terrence Malick continue sa quête d’un paradis terrestre perdu. Onirique et métaphysique autant que cruel et mélancolique, le film ne cesse pas d’impressionner. Un pur chef-d’œuvre.
- Réalisateur : Terrence Malick
- Acteurs : Jared Leto, Sean Penn, Elias Koteas, John Travolta, John Cusack, Nick Nolte, Jim Caviezel, George Clooney, Ben Chaplin , John C. Reilly, Nick Stahl, Woody Harrelson, John Savage, Adrien Brody, Tim Blake Nelson
- Genre : Drame, Film de guerre
- Nationalité : Américain, Canadien
- Distributeur : Ciné Sorbonne (reprise), UFD
- Durée : 2h50mn
- Date télé : 22 novembre 2023 23:15
- Chaîne : RTL9
- Reprise: 9 janvier 2019
- Box-office : 870.219 entrées France
- Titre original : The Thin Red Line
- Date de sortie : 24 février 1999
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Résumé : La bataille de Guadalcanal fut une étape clé de la guerre du Pacifique. Marquée par des affrontements d’une violence sans précédent, elle opposa durant de longs mois Japonais et Américains au cœur d’un site paradisiaque, habité par de paisibles tribus mélanésiennes. Des voix s’entrecroisent pour tenter de dire l’horreur de la guerre, les confidences, les plaintes et les prières se mêlent.
Critique : Cinéaste aimant se faire désirer, Terrence Malick a mis vingt ans avant de réaliser et présenter au monde son troisième long-métrage, La ligne rouge, après le succès critique et public des Moissons du Ciel en 1978. Si bien que de nombreux acteurs célèbres (Sean Penn, John Cusak, George Clooney, John Travolta, Nick Nolte...) s’étaient déclarés prêts à tout, ne serait-ce que pour avoir un tout petit rôle dans une scène. Au final, La ligne rouge, film-fleuve de 2h50, affiche l’un des castings les plus impressionnants du cinéma des années 90, sans pour autant verser dans la simple accumulation de visages connus. Le réalisateur parvient en effet très vite à mettre tout le monde à un niveau d’égalité et à nous faire oublier les stars présentes, immergées dans leurs personnages.
Thématiquement, La ligne rouge reste dans la droite lignée de ses prédécesseurs, bien qu’il s’agisse du premier film de guerre de Malick. Après la fuite en avant d’un couple déconnecté de la réalité trouvant refuge dans la nature américaine dans La Ballade Sauvage (1973) et les aventures tragiques et romanesques d’un trio d’ouvriers dans les champs de blés texans avec Les Moissons du Ciel, le cinéaste poursuit ici sa quête tant métaphysique que mélancolique d’un paradis terrestre perdu. Le film s’ouvre sur des images d’une beauté poignante, accompagnées par la musique magistrale d’Hans Zimmer. Le soldat Witt (Jim Caviezel) se trouve sur l’île de Guadalcanal, au milieu du Pacifique, en parfaite communion avec la nature et la population locale avant le début de la bataille qui opposera les Américains aux Japonais pour le contrôle de l’île. Onirique, symbolique et contemplatif, le film surprend dès son ouverture par cette troublante sérénité qui s’en dégage et sa dimension philosophique unique en son genre dans un film de guerre.
Un parallèle aussi évident que profond se tisse alors avec le film suivant dans la filmographie du cinéaste, Le Nouveau Monde (2005). Histoire de paradis perdu dans toute sa splendeur, ce long-métrage offrait un point de vue aussi cruel que mélancolique sur la colonisation du continent et la vie de la princesse indienne Pocahontas, jeune fille libre et naturelle avant qu’elle ne tombe amoureuse de John Smith, pour lequel elle acceptera de renoncer à sa culture et sa terre, jusqu’à accepter le baptême et adopter le nom de Rebecca. La fin du film confrontait les deux anciens amants, laissant tout le loisir à John Smith de constater que son amour pour elle a tué la jeune fille qui l’avait sauvé, à présent triste, policée et masquant ses pensées et émotions. Pocahontas et l’Amérique devenaient ainsi une seule et même entité connaissant un destin similaire : apprivoisées, elles perdent leur nature sauvage et finissent par s’éteindre.
Malgré certaines images de nature agonisante, comme l’oisillon englué dans une flaque de pétrole, ce qu’il y a de remarquable dans La ligne rouge, c’est que le sort des humains ne semble pas avoir d’impact véritable sur la nature, dont la beauté et la sérénité fait fi du combat qui se livre sur les champs de bataille. Les hommes passent, elle demeure. Le film de Malick est en ce sens l’un des rares films de guerre (le seul ?) à mettre en avant cette beauté, tour à tour sereine et apocalyptique, adoptant un ton, un montage et un rythme très contemplatifs sans pour autant oublier ou nier la violence et l’absurdité de la guerre. Un certain nombre de scènes sont en ce sens particulièrement éprouvantes, le cinéaste se permettant des ruptures de ton assez brutales, où la beauté laisse soudain la place au massacre, sans pour autant disparaître tout à fait. La bataille dans le village japonais est représentative de cela : d’une grande violence, elle met également en avant la cruauté de la nature, que les soldats américains connaissent peu, contrairement à leurs ennemis. Profitant d’un épais brouillard qui empêche de voir ne serait-ce qu’à quelques mètres, les Japonais attendent les soldats, immobiles, leurs fusils armés de baïonnettes pour mieux les transpercer lorsque ceux-ci s’approcheront.
Le ton critique est également de mise et l’armée n’est pas épargnée. Le général campé par Nick Nolte apparaît comme un militaire carriériste complètement déconnecté des réalités du terrain, qui envoie ses hommes à l’abattoir sans se poser de questions, persuadé que la seule tactique est d’attaquer de front plutôt que de contourner l’ennemi pour mieux se protéger et le surprendre. La suite du film révélera néanmoins chez lui une personnalité plus contrastée, ambiguë.
Quant au regard désabusé posé par le personnage de Sean Penn, s’il traduit un désenchantement profond, il est contrebalancé par la relation naturelle et intime que Witt entretient avec la nature, faisant du film une formidable ode à la vie. Malgré leurs différences, les deux hommes partagent une admiration mutuelle et une sensibilité à fleur de peau. Le premier est émerveillé par la capacité du second à voir la beauté en chaque chose, y compris la mort, tandis que lui-même a du mal à savoir s’il possède encore cette « étincelle » que la guerre éteint dans le regard des hommes. C’est dans cet équilibre délicat entre ces deux figures à priori opposées que le film de Terrence Malick puise toute sa force et sa douloureuse beauté.
À l’heure où le cinéaste s’apprête à présenter à Cannes son cinquième long-métrage, The Tree of Life, La ligne rouge demeure un film essentiel pour appréhender son œuvre et en saisir toute la subtilité. Malgré son ton contemplatif et sa durée élevée, le film n’ennuie jamais et sa dimension métaphysique et spirituelle, magnifiée par un montage parfait, en fait un des chefs d’œuvre du cinéma américain.
– Sortie Blu-ray : 11 mai 2011
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