Rêve acide...
Le 7 septembre 2015
Exemple parfait de film tiraillé entre les objectifs mercantiles des majors et les ambitions artistiques de son auteur, La Forteresse noire représente pour tout amateur de cinéma de genre (et autre) une Madeleine de Proust difficilement accessible depuis de nombreuses années. L’Étrange Festival diffusant enfin ce film culte le mercredi 9 septembre 2015, on ne saurait que trop vous conseiller la (re)découverte en salle.
- Réalisateur : Michael Mann
- Acteurs : Gabriel Byrne, Scott Glenn, Alberta Watson
- Genre : Fantastique, Épouvante-horreur, Historique
- Nationalité : Américain
- Durée : 1h36
- Date télé : 31 juillet 2021 20:40
- Chaîne : Paramount Channel
- Titre original : The Keep
- Date de sortie : 2 mai 1984
- Festival : L’Étrange Festival 2015
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Exemple parfait de film tiraillé entre les objectifs mercantiles des majors et les ambitions artistiques de son auteur, La Forteresse noire représente pour tout amateur de cinéma de genre (et autre) une Madeleine de Proust difficilement accessible depuis de nombreuses années. L’Étrange Festival diffusant enfin ce film culte le mercredi 9 septembre 2015, on ne saurait que trop vous conseiller la (re)découverte en salle.
L’argument : Des nazis sont envoyés pour garder une vieille et mystérieuse forteresse roumaine. L’un d’eux, par erreur, laisse s’échapper une force inconnue qui était prisonnière des murs...
Notre avis : Parabole sur le mal, intradiégétiquement figuré par le fascisme, La Forteresse noire demeure l’unique excursion de Michael Mann dans le cinéma (véritablement) fantastique. Expérience désastreuse pour les équipes techniques, artistiques et leur maître d’œuvre, le tournage du long métrage augurait à lui seul de son destin chaotique... qui fait encore couler beaucoup d’encre. Les plateaux, situés entre les studios de Shepperton et le Pays de Galles, furent les derniers lieux foulés par le regretté superviseur des effets spéciaux Wally Veevers. Privé de ce dernier pour une bonne partie de la captation, Mann "bricolera" lui-même des plans au sein desquels apparait le lovecraftien Radu Molasar. Cette créature démoniaque et mystique au possible confère au film son côté daté, voire kitsch, pour tous ceux qui ne sauraient déceler la portée hautement philosophique et hiératique de l’œuvre. Depuis 1983, The Keep ne cesse d’être projeté à la télé américaine dans de multiples versions remontées au bon vouloir des ayants droit, chacune faisant l’impasse sur un director’s cut de plus de trois heures, espéré par les cinéphiles du monde entier.
Ce qui frappe en redécouvrant a posteriori La Forteresse noire, c’est qu’il est autant "mannien" dans ses thèmes qu’éloigné du metteur en scène dans son imagerie. On y retrouve certes le penchant du créateur du Solitaire pour le ton impressionniste, mais c’est réellement la première fois, et probablement la dernière, que Michael Mann va laisser libre cours à une formalisation picturale de l’expressionnisme allemand aussi marquée. Ce qui lui est pourtant cher du point de vue thétique tout au long de sa filmographie (on se rappelle du dédoublement quasiment schizophrénique de ses personnages emblématiques : le tiraillé Docteur Jeffrey Wigand de Révélations, mais surtout le "multi-reflété" Vincent, victime des scintillements de verre et d’acier de la mégalopole du superbe Collateral), prend ici des proportions telles, que les références à Murnau dans l’écrasante utilisation architecturale sont légions.
Pour apprécier The Keep, il faut effectivement savoir appréhender pleinement son côté "bricolé", outrancier, pour y déceler à terme le véritable dessein de Mann. L’aspect captivant du discernement de personnages se démenant dans un combat totalement inégal contre les SS, consonne pleinement avec celui de l’auteur contournant les aléas de production avec une avidité artisanale sans borne. Son envie farouche de mener à bien ce projet maudit, est finalement devenu un rappel de l’importance et de l’entêtement à combattre le fascisme, intrinsèquement nommé comme primitif et impérieux, par tous les moyens : le cinéma étant pour Mann un moyen comme un autre. Préoccupé dans Ali par les démons ségrégationnistes des années transitoires, il est important de rappeler que Michael Kenneth, fils de Jack Mann (un immigrant ukrainien vétéran de la seconde guerre mondiale), est plongé dans la culture juive dès sa naissance, et ne cessera d’être préoccupé par le combat contre le mal au sens large du terme jusqu’à aujourd’hui.
Pour cette plongée dans une enclave roumaine de la seconde guerre mondiale, microcosme illusoirement fermé sur lui-même où les frontières protectrices sont finalement abattues une à une, Michael Mann opte pour une stylisation extrême et use de tous les outils disponibles pour contourner les problèmes techniques susnommés. L’utilisation du "score" de Tangerine Dream, forcément extradiégétique, renvoie sans peine aux procédés narratifs d’un certain 2001, l’Odyssée de l’espace. En outre, la rigueur habituelle d’écriture est déjà présente et la caractérisation des personnages grandiose : peu de doute quant au fait que l’effrayant Kaempffer, campé par l’impeccable Gabriel Byrne, influença Del Toro dans sa création du sublime Labyrinthe de Pan, un autre exemple de fable anti fasciste opposant la puissance du septième art aux horreurs des extrémistes de tous bords. Molasar, pour sa part, est peut-être assemblé de bric et de broc, mais n’est pas sans rappeler la conscience philosophique qui habite le cinéma de genre et ses créatures telles que Predator. Quand on se remémore Sartre évoquant autrui en affirmant être "prisonnier du regard des autres", et que "l’enfer signifie que (sa) liberté est aliénée en ce qu’elle dépend des autres, de leurs opinions et sentiments", on comprend que dès l’ouverture et ses gros plans marqués sur les yeux de Jürgen Prochnow, tout est résumé en quelques minutes. Et quand en 2015, Hacker évoque toujours le besoin d’un oubli identitaire au profit d’une cause plus grande pour ses protagonistes, un retour en arrière vers La Forteresse noire ne pourra que toucher les cinéphiles au plus au point par son final au romantisme furieux et harassant. Un film imparfait, mais dont les défauts formels viennent renforcer la puissance hypnotique et la préoccupation idéologique élevée.
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