Parle, ô pays bien-aimé
Le 5 mai 2004
Vibrante d’émotion, Antjie Krog raconte comment son pays, l’Afrique du Sud, a pu transcender, grâce à la parole, la douleur du passé.
- Auteur : Antjie Krog
- Editeur : Actes Sud
- Genre : Roman & fiction
- Nationalité : Africain
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Dix ans que les premières élections démocratiques ont eu lieu en Afrique du Sud, dix ans que Nelson Mandela, porté triomphalement au pouvoir, mettait fin au cancer de l’apartheid. Comment ce pays, enfoncé depuis des décennies dans une violence aveugle, a-t-il réussi à gérer sans bain de sang un tel retournement de situation ? C’est le propos de La douleur des mots.
Dans le but de prévenir la répétition des horreurs du passé et de trouver des compensations "autant que faire se peut", le nouveau gouvernement met sur pied la commission Vérité et Réconciliation à laquelle sont invités à témoigner victimes et bourreaux. Antjie Krog, poétesse et journaliste d’origine afrikaner, commente les événements pour la radio nationale. Assister à cette prise de parole, être mise en face de cette vérité (de ces vérités...) "qui ne ramène pas les morts, mais [...] les libère du silence" sera le choc de sa vie. Immergée pendant quatre ans dans le processus, Antjie Krog ne fait pas que relater, elle s’implique totalement.
Passent au crible d’une émotion vibrant à chaque ligne, les témoignages insoutenables des victimes, mais aussi ceux des responsables des exactions. Comment accepter que ce qui était toléré, voire justifié hier, soit inexcusable aujourd’hui ? Certains assument avec courage, certains continuent à manipuler leurs victimes, mais la pleutrerie fait aussi partie du décor, celle de De Klerk par exemple, ancien chef du gouvernement, qui se retranche derrière le fait qu’il ne savait pas et repousse ainsi "la chance de devenir humain". Voici aussi l’ANC sur la sellette, et plus tard Winnie Madikizela-Mandela, reine sans couronne, acceptant avec condescendance de demander le pardon que lui souffle Desmond Tutu. Extraordinaire scène mettant face à face deux personnages hors du commun. Mais dont le véritable héros, magnifiquement portraituré par l’auteur, est l’archevêque prix Nobel, président de la Commission, au charisme dépassant l’imagination. Celui qui a rendu les choses possibles, à lui tout seul pourrait-on presque dire, en parlant "au nom de tous - et en même temps en [exprimant] le chagrin le plus secret au cœur de chacun".
Cette douloureuse catharsis, nous la vivons pas à pas avec Antjie Krog, cherchant à définir ou redéfinir les notions qui la soutiennent, qu’il s’agisse de culpabilité, de pardon, de réconciliation, de vérité, de mal ou de honte - et ce qu’elles représentent dans les onze langues nationales et autant de cultures divergentes sinon opposées. Mais c’est surtout la part d’humain que l’auteur parvient à extraire de chacun des intervenants, guettant sans relâche les signes de leur capacité d’amour. De cette épreuve - rêve impossible mais réalisé pourtant - qui a secoué l’Afrique du Sud, Antjie Krog gardera pour toujours des cicatrices profondes, mais aussi une tendresse immense pour cette instance qui est parvenue, malgré ses erreurs, à "maintenir en vie l’idée d’un humanisme commun". De quoi garder espoir en l’avenir du pays bien-aimé...
Antjie Krog, La douleur des mots (Country of my skull, traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Georges Lory), Actes Sud, 2004, 407 pages, 23,90 €
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