Le 26 octobre 2015
Un film subtil qui sonne comme une condamnation visionnaire de notre société.
- Réalisateur : Mauro Bolognini
- Acteurs : Jacques Perrin, Alain Cuny, Rosanna Schiaffino, Isa Miranda, Filippo Scelzo
- Genre : Drame
- Nationalité : Italien
- Editeur vidéo : M6 Vidéo
- Durée : 1h20mn
- Titre original : La Corruzione
- Date de sortie : 16 mars 1966
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– Sortie DVD : le 21 octobre 2015
Un film subtil qui sonne comme une condamnation visionnaire de notre société.
L’argument : Stefano est un adolescent timide et sensible qui vient de terminer ses études en Suisse et qui envisage de devenir moine. Mais son père, riche éditeur milanais, qui nourrissait l’ambition de voir son fils lui succéder, refuse et l’emmène en croisière avec une jeune femme pour lui ôter cette idée de la tête...
Notre avis Bien qu’inégal, et en particulier à cause d’une tendance au bavardage trop explicite, La Corruption, en même temps qu’une passionnante réflexion sur l’individualisme contemporain, contient assez de séquences magistrales pour séduire le cinéphile le plus exigeant. Ainsi les scènes de début et de clôture sont-elles particulièrement soignées ; le film s’ouvre sur le discours légèrement emphatique d’un directeur de lycée, qui définit la civilisation comme l’aspiration au bien. Or ces propos, s’ils touchent Stefano, dont des plans de coupe révèlent le visage interrogateur, sont niés par les étudiants qui, dès qu’ils s’avancent pour recevoir leur diplôme, arborent des sourires carnassiers qui en disent long sur leur idée de la morale. C’est la future élite que Bolognini épingle en de subtils plans muets, ceux qui vont bazarder leurs humanités pour entrer dans le monde réel. À ce début dans lequel le dialogue importe moins que les attitudes répond la fin, quasi muette, dans laquelle des jeunes gens dansent, en plein air ; si leur danse est synchronisée, elle n’en est pas moins une image symbolique du nombrilisme qui régit la société : chacun se déhanche sans regard pour le voisin, enivré par son propre mouvement. Le cinéaste s’attarde longuement sur ces visages souvent fermés, sur ces corps morcelés par des cadres tranchants. Dans la voiture, au même moment, Stefano pleure sur ses illusions perdues.
Le chemin qui mène de l’une à l’autre de ces séquences est une initiation à la sauvagerie, à la dureté du monde. À son tour, Bolognini se fait moraliste quand il scrute l’absence de scrupules du père, le cynisme de sa maîtresse, la trahison de l’ « intellectuel de gauche » et, d’une manière générale, le règne de l’argent. C’est la force du scénario que de décrire, en plein boum économique, ce que devient une société matérialiste, privée de spiritualité : les livres sont des marchandises, les femmes se doivent de rester jeunes (voir le drame de la mère quand la lumière lui fait voir son visage), les études sont « inutiles », l’idéalisme « démodé ». Cette vision terriblement actuelle est résumée en deux phrases par Morandi, la conscience de gauche ( « ce pays n’a plus d’idées, juste de l’électroménager ») et par le père (« Je crois à la force et à l’argent »). Qu’importent les « dommages collatéraux », qu’il s’agisse du suicide d’un employé ou de la dépression de la mère, le monde avance et broie ceux qui s’opposent à lui ou tentent vainement de résister. Pas de place pour les faibles.
La corruption du titre est bien sûr celle de l’argent, que le père utilise pour faire taire, mais aussi plus généralement la corruption morale qui gangrène le pays et sur laquelle se fracasse le désir de pureté de Stefano. À qui détient le pouvoir rien n’est interdit : dans une séquence terrible et pour lui donner une « leçon », le père manque de noyer son fils qui le supplie de l’aider. Nous en sommes là, semblent dire les scénaristes, un univers sans foi ni loi, sans tendresse.
Bien que magistrale, répétons-le, cette vision n’est pas que théorique : elle s’incarne en trois magnifiques personnages, interprétés par le raide et impitoyable Alain Cuny, par le gauche et tout jeune Jacques Perrin, et par la lumineuse Rosanna Schiaffino, dont le beau visage, sans cesse scruté par la caméra de Bolognini, cache une détermination sans faille.
Leur confrontation s’appuie sur nombre d’idées passionnantes, qu’elles soient verbales ou filmiques. Ainsi le cinéaste utilise-t-il un procédé qui consiste à matérialiser des intentions : trois exemples suffiront ; le père cherche à « embarquer » son fils avec lui, et pour ce faire, l’emmène en excursion en yacht ; Adriana veut mettre le grappin sur Stefano et l’image de sa main lui agrippant la cheville le révélera ; enfin, pour montrer son désir d’élévation, Bolognini filme Stefano grimpant à une échelle de corde. Il faudrait s’attarder également sur l’opposition constante entre le noir et le blanc, notamment par le jeu avec l’éclairage ou les costumes, ou sur le montage qui, dans la scène de séduction morcelle les corps pour traduire la chute morale.
On sait le talent du réalisateur pour soigner le cadrage (rappelons qu’il tenait lui-même la caméra), son goût pour les miroirs et les embrasures de portes, toujours révélateurs de tensions. La Corruption est l’occasion de découvrir, comme plus tard avec L’ Héritage, que cet art consommé, loin d’être pur ornement, a valeur de froide dénonciation ou, pour le dire autrement, que la mise en scène est aussi « affaire de morale ».
Les suppléments :
25 minutes d’un entretien passionnant avec Jean A. Gili, grand admirateur et fin connaisseur de Bolognini, qui parle entre autres du rapport avec Pasolini et Antonioni.
L’image :
Malgré quelques plans abîmés au début (scène du monastère), la copie est propre avec de légères instabilités et un grain inégalement présent.
Le son :
La seule version disponible, en VO et Dolby Digital 2.0 Mono, propose un son mat, insuffisamment défini, mais audible et sans parasites.
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