Époque troublée
Le 25 août 2010
Cette adaptation du roman de Marguerite Yourcenar est le dernier long métrage d’André Delvaux. Malgré ses qualités indéniables, le film reste engoncé dans un discours qui l’étouffe et souffre d’une post-synchronisation qui atténue considérablement son impact.
- Réalisateur : André Delvaux
- Acteurs : Marie-France Pisier, Philippe Léotard, Anna Karina, Gian Maria Volonté, Sami Frey, Jean Bouise, Mathieu Carrière, Roger Van Hool
- Genre : Historique
- Nationalité : Français, Belge
- Distributeur : Baba Yaga Films
- Editeur vidéo : La Vie est Belle éditions
- Durée : 1h48mn
- Reprise: 11 août 2010
- Date de sortie : 13 mai 1988
- Festival : Festival de Cannes 1988
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Résumé : "Un homme traqué, recherché depuis des années dans les régions immenses contrôlées par l’orthodoxie religieuse et politique, revient au pays natal de Bruges, poussé par d’obscures raisons et sous un faux nom... Petit à petit, morceau par morceau, au gré des rencontres et des hasards, va se reconstituer dans la mémoire des autres le puzzle de son existence et de ses idées. Cela fait de lui un "homme à brûler". Il s’appelle Zénon." André Delvaux
Critique : Publié en 1968, L’œuvre au noir est une des œuvres les plus célèbres de Marguerite Yourcenar. Situé dans la deuxième moitié du XVIe siècle, le roman raconte les destins croisés de Henri Maximilien et de Zénon Ligre, nés à Bruges et voyageant à travers une Europe agitée par les conflits religieux et politiques.
André Delvaux, qui avait déjà abordé, en 1978, les thèmes de l’occupation, de la collaboration et de la Résistance dans le controversé Femme entre chien et loup, tenait beaucoup à adapter ce roman et en particulier la partie concernant le retour au pays natal de Zénon, médecin et alchimiste traqué par l’Inquisition. Il associera l’auteur à la préparation du film au cours d’un correspondance étalée sur six ans.
- © 1988 La Nouvelle Imagerie. Tous droits réservés.
La note d’intention du cinéaste montre clairement que, plus que la reconstitution historique des Flandres vers 1570, l’intéressait l’aspect politique du projet : la lutte d’un esprit libre en butte à l’intolérance et à l’oppression. Le film suggère des parallèles avec la période 1940-45, mais le réquisitoire de l’inquisiteur Le Cocq (interprété de manière impressionnante par Senne Rouffaer) lors du procès en hérésie est, semble-t-il, inspiré de discours de l’imam Khomeiny et a des résonances qui ne sont que trop actuelles. Zénon apparaît dans le film comme un résistant contraint à la dissimulation et qui essaie, soutenu par quelques esprits éclairés acceptant la remise en cause de leurs certitudes (tels que le prieur joué par Sami Frey), d’aller à contre-courant d’une époque de régression en proie à la peur et la violence.
- © 1988 La Nouvelle Imagerie. Tous droits réservés.
Le tableau d’une période troublée est assez réussi. À plusieurs reprises des scènes de rues nous montrent des condamnés emmenés au bucher ou à l’échafaud au milieu de la vindicte populaire. Ailleurs des corps pendus aux gibets apparaissent au fond de l’image. On sent la peur toujours présente, et la tentation de se réfugier dans le plaisir est incarnée par les Anges, espèce de société secrète composée de jeunes moines et de nonnes se livrant à des cérémonies secrètes sous la direction de l’économe (Matthieu Carrière). Mais tout cela reste quelque peu théorique et peine à s’incarner vraiment malgré le soin apporté à la reconstitution en décors réels et le beau travail du chef opérateur Charlie Van Damme.
- © 1988 La Nouvelle Imagerie. Tous droits réservés.
Des acteurs connus (Anna Karina, Philippe Léotard, Marie-Christine Barrault, Marie-France Pisier, Jean Bouise) apparaissent dans des rôles épisodiques ; mais si la mention de leur nom au générique a sans doute favorisé la réalisation du projet, leur présence à l’écran paraît souvent anecdotique. Le film souffre aussi d’une post-synchronisation malheureuse qui banalise et gâche le remarquable travail visuel (Gian Maria Volonté est doublé par Pierre Vaneck avec des intonations de dramatique télé).
- © 1988 La Nouvelle Imagerie. Tous droits réservés.
C’est donc, malgré la beauté indéniable de certains passages (les scènes sur la plage par exemple, lorsque Zénon tente de s’embarquer pour l’Angleterre) une impression de déception qui domine. André Delvaux, qui a réalisé par ailleurs des œuvres admirables (L’homme au crâne rasé, Rendez-vous à Bray) reste ici prisonnier d’intentions louables mais paralysantes et, sans doute, des contraintes d’une coproduction internationale.
Le DVD
Les suppléments
Un livret de 96 pages contient la correspondance du cinéaste avec Marguerite Yourcenar, une analyse du film par Adolphe Nysenholc et le dernier texte d’André Delvaux intitulé L’auteur dans la cité.
Le chef opérateur Charlie Van Damme revient sur sa collaboration avec Delvaux et explique de manière éclairante les choix de pellicule et d’éclairage ainsi que le travail de reconstitution en décors réels en Flandres. Son témoignage est passionné et passionnant.
Le court métrage de Delvaux Avec Dieric Bouts, tourné en 1975 et consacré au grand peintre flamand (1415-1475) est un des chefs-d’œuvre du cinéaste et un modèle de documentaire hors norme. Il met en parallèle de manière pertinente le travail du peintre et celui du cinéaste, nous montre des acteurs se mettant en place pour un tableau vivant à l’imitation d’une Dernière Cène (avec Matthieu Carrière, fort drôle en Christ s’exerçant à dire ses répliques célèbres en néerlandais), explore, en même temps que les toiles de Bouts, les paysages ruraux et urbains de la Flandres d’aujourd’hui et convoque les morts du XXe siècle à travers les médaillons des plaques tombales et les monuments commémoratifs, en écho aux scènes eschatologiques des grands polyptyques de l’artiste du XVe siècle. Car, comme le dit le commentaire au début et à la fin, il faut chercher en nous-mêmes la réponse à la question : qui est Bouts ?
Image
Très bon report. L’image est très claire - trop peut-être- , les couleurs un peu pâles mais d’une parfaite définition et on ne note aucun problème de compression.
Son
Une seule piste mono, propre, mais qui manque vraiment de profondeur.
– Sortie vidéo : 23 août 2010
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