Mon nom est personne
Le 14 septembre 2022
Une adaptation exemplaire de L’Odyssée, qui allie l’émerveillement du grand spectacle à la méditation philosophique.
- Réalisateurs : Mario Bava - Franco Rossi
- Acteurs : Juliette Mayniel, Barbara Bach, Fausto Tozzi, Irène Papas, Bekim Fehmiu, Renaud Verley, Marina Berti , Scilla Gabel
- Genre : Aventures, Fantastique, Historique, Péplum
- Nationalité : Français, Allemand, Italien, Yougoslave
- Durée : 6h10 mn (version longue) ou Durée : 1h49 mn (version distribuée en salles sous le titre Le avventure di Ulisse)
- Titre original : L'Odissea
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– Année de production : 1968
Résumé : Ulysse, roi d’Ithaque, parti pour la guerre de Troie, est absent depuis vingt ans. Son épouse Pénélope est courtisée par un groupe de prétendants qui occupent la maison d’Ulysse qu’ils tiennent pour mort, et y dévorent ses biens. Favorables à Ulysse, à l’exception de Poséidon, les dieux tiennent conseil et décident de son retour. La déesse Athéna se rend à Ithaque sous les traits d’un voyageur pour s’adresser à Télémaque, le fils d’Ulysse, et lui conseille de convoquer l’assemblée d’Ithaque pour dénoncer les méfaits des prétendants, puis de partir en secret à la recherche de son père. Pénélope cherche à reculer l’échéance du mariage qu’elle redoute en prétextant devoir achever une toile interminable, mais elle est démasquée. Télémaque se rend à Pylos, auprès de Nestor, qui ne peut le renseigner, puis à Sparte, auprès de Ménélas qui lui assure qu’Ulysse est bien vivant mais prisonnier des mers. Hélène, épouse de Ménélas, évoque sa dernière rencontre avec Ulysse la veille de la prise de Troie. Apprenant son départ, les prétendants décident de dresser une embuscade à Télémaque lors de son retour. Pendant ce temps, Ulysse, qui vogue sur les mers à bord d’un simple radeau, échappe de peu à la noyade, et échoue au pays des Phéaciens...
Critique : Au cours des siècles l’Odyssée a fourni un terreau quasi inépuisable dans lequel écrivains, peintres, dramaturges ou librettistes d’opéra ont trouvé matière à d’innombrables citations, relectures, parodies et variations en tous genres.
Au cinéma aussi les références à ce texte fondateur de la civilisation occidentale sont fréquentes, Le mépris de Godard et 2001, Odyssée de l’espace de Kubrick n’étant que des exemples parmi d’autres. Mais, alors que l’œuvre semble s’y prêter idéalement, on pourra s’étonner de n’en rencontrer que peu d’adaptations cinématographiques au sens strict.
Celle, assez naïvement illustrative, de la Milano Films (Bertolini et Padovan, 1911) réduit le récit à une série de tableaux souvent suggestifs et ses trucages artisanaux ainsi que les nombreuses scènes tournées en extérieur lui confèrent une certaine grâce poétique.
Quand à l’Ulisse réalisé par Mario Camerini en 1954, c’est une réduction souvent astucieuse et aux qualités spectaculaires indéniables mais qui reste agréablement superficielle malgré quelques intuitions troublantes comme l’idée de confier à Silvana Mangano le double rôle de Circé et Pénélope.
Pour retrouver le souffle épique qui s’élève des vingt-quatre chants narrant les pérégrinations d’Ulysse et son retour à Ithaque, il fallait à l’évidence les dimensions d’une série télévisée à très gros budget et c’est sous sa forme longue, en huit épisodes de cinquante minutes, que L’Odissea produite par Dino De Laurentis pour la RAI, l’ORTF et la Bavaria en collaboration avec la Jadran Film de Zagreb trouve sa véritable respiration plutôt, que dans la version condensée distribuée dans les salles italiennes sous le titre Le avventure di Ulisse.
Globalement très fidèle au poème, le scénario en modifie néanmoins quelque peu la structure dramatique, opérant quelques déplacements. Par exemple, dans le texte original, Ulysse n’apparaît en personne qu’au début du cinquième chant, les quatre premiers formant ce qu’on a pris l’habitude d’appeler la Télémachie. Le film, après la première heure consacrée à décrire la situation à Ithaque, fait alterner les séquences consacrées au voyage de Télémaque à celles montrant Ulysse accueilli par les Phéaciens auxquels il narre ses aventures.
Ce parti pris de complexité narrative s’avère judicieux et contribue à captiver l’attention du spectateur, prise dans un entrelacs de fils narratifs et constamment maintenue en éveil par des jeux de miroir et d’échos ainsi que par un va et vient subtil entre grand spectacle (l’impressionnante séquence du Cyclope réalisée par Mario Bava) et méditations philosophiques empreintes de mélancolie.
Cette alchimie donne sa saveur à un film qui émerveille aussi par sa beauté visuelle, la réalisation sans éclat mais de bonne facture de Franco Rossi (assisté de Piero Schivazappa) parvenant à conférer une remarquable unité à un ensemble associant les styles les plus disparates sans chercher à en gommer l’hétérogénéité.
Goût du rituel, frontalité primitive, effets de distanciation (le chœur prophétique des servantes annonçant l’accomplissement de la vengeance d’Ulysse) : l’esthétique du film ne doit quasiment rien à la tradition du péplum mais beaucoup à Pasolini (les incarnations d’Athéna font irrésistiblement penser aux apparitions angéliques de L’Évangile selon Saint Matthieu. La proximité avec l’opéra Ulisse de Luigi Dallapicola, créé d’ailleurs en cette même année 1968, est également frappante.
Irène Papas, l’Electre de Cacoyannis (autre influence évidente), est une magnifique Pénélope et Bekim Fehmiu, qui venait d’être révélé par le film de Petrovic J’ai même rencontré des tziganes heureux, trouve sans doute ici le rôle de sa vie. Son Ulysse est à la fois héros intrépide de film d’aventures et acteur-spectateur de son destin et de celui des autres qu’il n’hésite pas à mettre en jeu. Il emporte la sympathie du spectateur tout en laissant clairement apparaître un côté inquiétant.
Du Télémaque juvénile de Renaud Verley à l’Eurimaque touchant de Karl-Otto Alberty les autres interprétations ne sont pas moins mémorables et le film ne sacrifie pas les acteurs moins connus au profit des nombreuses guest stars telles que Scilla Gabel, idéale Hélène, ou Marina Berti, pour qui on a gonflé le rôle d’Arété, quasi inexistant chez Homère mais qui devient ici l’interlocutrice privilégiée d’Ulysse au royaume des Phéaciens.
Habitée par un véritable souffle poétique, cette magnifique adaptation de l’Odyssée n’a pas été éclipsée par la version ultérieure réalisée en 1997 par Andreï Konchalovsky. La réception très favorable entraina la production, en 1971, d’une Eneide, également réalisée par Franco Rossi, mais réputée moins réussie.
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