Rapport sur moi : tome 2
Le 12 mai 2004
Un puzzle imprévisible doté d’un sens du détachement et du décalage des plus réjouissants.


- Auteur : Grégoire Bouillier
- Editeur : Allia
- Genre : Roman & fiction

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Michel Leiris, Sophie Calle, une bouteille de château-margaux 1964, Virginia Woolf et une sonde qui s’appelle Ulysse et qui pèse 57 kg. Voici quelques-unes des pièces d’un puzzle à la logique imprévisible que Grégoire Bouillier recompose dans L’invité mystère, avec un sens du détachement et du décalage des plus réjouissants.
Non, ce n’est pas la mort de Michel Leiris un dimanche d’octobre 1990 qui conduit cette femme à téléphoner à Grégoire Bouillier quatre ans après leur séparation ; elle a simplement pensé à lui, qui porte des sous-pulls à col roulé en signe de deuil depuis son départ, pour être l’invité mystère de la fête d’anniversaire de Sophie Calle [1]. Muni d’un château-margaux 1964, Bouillier se rend donc à cette soirée ; et y joue l’inconfortable rôle de l’invité, plus transparent que mystérieux, auquel personne n’adresse la parole. Pas même Sophie Calle, qui s’apprête à lui parler lorsqu’une histoire d’huîtres la rappelle brutalement en cuisine. Pas même celle qui l’a invité. C’est pourtant lors de cette réception qu’un bouquet de roses et Virginia Woolf délivrent enfin notre homme de son deuil et de ses sous-pulls à col roulé, et le rendent à la vie, de façon inattendue mais certaine.
Et, tel un mouvement perpétuel aux rebondissements aléatoires, l’histoire ne s’arrête pas là. Parce que, dix ans plus tard, Grégoire Bouillier, convoquant Michel Leiris à titre posthume [2], écrit son Rapport sur moi. Et Sophie Calle, enthousiasmée par ce premier roman, vient féliciter son auteur, sans se souvenir qu’il a été, un jour, son invité mystère.
Le deuxième roman de Grégoire Bouillier a ceci de commun avec le premier qu’il participe de cette littérature de l’exhibition, du "je" impudique, de la névrose exposée ; ce qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler la démarche de Sophie Calle. Mais l’intérêt de L’invité mystère réside, plus que dans l’exploration un peu vaine de la chaîne des causalités, dans le traitement anecdotique que Bouillier en propose : accordant autant d’importance à l’accessoire qu’au décisif, il raconte l’épisode de sa délivrance avec un détachement et une auto-dérision tels qu’on se sent très loin de l’autobiographie psychanalysante. Introduisant même une pointe de suspense, il se débarrasse de tout ce qui pourrait plomber le récit, d’autant plus séduisant qu’il est porté par une écriture aussi enivrante qu’un château-margaux 1964.
Grégoire Bouillier, L’invité mystère, Allia, 2004, 92 pages, 6,10 €
[1] Cette artiste française fait œuvre de sa vie intime avec un humour provocateur. Voir par exemple le portfolio de ses photos sur le site de la galerie Sollertis. Les lecteurs du Léviathan de Paul Auster se souviendront qu’il s’est servi de Sophie Calle en tant que personnage de son roman. Ou l’histoire de l’arroseur arrosé...
[2] Bouillier cite Leiris : "L’activité littéraire, dans ce qu’elle a de spécifique en tant que discipline de l’esprit, ne peut avoir d’autre justification que de mettre en lumière certaines choses pour soi en même temps qu’on les rend communicables à autrui."