Eau de lune
Le 18 septembre 2010
La magie et la puissance d’évocation du cinéma sont portées à leur maximum de force poétique dans l’extraordinaire chambre d’échos qu’installe ce quatrième film de Kôhei Oguri, miraculeux croisement de sophistication extrême et de simplicité absolue.
- Réalisateur : Kohei Oguri
- Acteurs : Kōji Yakusho, Christine Hakim, Masako Yagi, Sung-Ki Ahn
- Genre : Comédie dramatique, Fantastique
- Nationalité : Japonais
- Durée : 1h43mn
- Titre original : Nemuru otoko - 眠る男
- Plus d'informations : http://www.mcjp.fr/francais/cinema/...
- Festival : Rétrospective Oguri à la MCJP
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La magie et la puissance d’évocation du cinéma sont portées à leur maximum de force poétique dans l’extraordinaire chambre d’échos qu’installe ce quatrième film de Kôhei Oguri, miraculeux croisement de sophistication extrême et de simplicité absolue.
L’argument : Suite à un accident, un montagnard est transporté inconscient dans la chambre d’une ferme d’un petit village. Tous les habitants se relayent à son chevet jusqu’à
ce que son âme s’échappe.
Notre avis : Pour sa quatrième réalisation, après le très sombre Shi no toge - L’aiguillon de la mort, doublement primé à Cannes, Kôhei Oguri semble changer radicalement de manière. Nemuru otoko - L’homme qui dort, ode à la beauté du monde, est un film au rythme apaisé et déploie une palette de couleurs qui enchantent l’oeil.
La douleur et la mort y sont pourtant présentes, et même centrales, puisque tout s’articule autour d’un personnage plongé dans le coma après un accident. Mais cet état est assimilé au sommeil par le titre même et, lorsque l’âme de Takuji aura quitté son corps, nous le verrons marcher dans la forêt et croiser le plus naturellement du monde la route d’une vivante, la gratifiant d’un rayonnant sourire.
© Office Oguri Kôhei
La souffrance est comme mise à distance, violence (l’ostracisme envers les immigrés coréens) ou deuil (le souvenir d’un enfant noyé) parvenant à notre perception comme des échos d’une douleur passée. Car c’est une véritable chambre de résonance qu’organise Oguri autour de cet absent au monde bien présent pourtant par son corps qui respire encore, qu’on veille, auquel on parle et que sa mère doit laver.
La femme étrangère (incarnée par la star indonésienne Christine Hakim) qui chante dans un bar la berceuse de Solveig (du Peer Gynt de Grieg), l’électricien qui vient réinstaller le courant ou redresser l’antenne de télévision d’une vieille dame, le petit garçon qui pose des questions à un vieil homme devant la roue d’un moulin à eau sont quelques uns des innombrables personnages qui peuplent L’homme qui dort et dont l’histoire est à peine esquissée. L’attention extrême que leur accorde le cinéaste et le système, complexe et simple à la fois, de correspondances dont ils sont partie prenante leur permet à tous d’exister puissamment à l’écran.
Mais les éléments naturels (le vent, la pluie, la montagne, la forêt au fil des saisons, et même la mer) sont tout aussi présents que les humains et le film pose d’ailleurs la question de la place centrale de l’homme dans l’univers (L’homme est-il grand ou pas ?) sans céder à un panthéisme naïf ou à un lyrisme boursouflé.
Car la poésie intense qui est à l’oeuvre ici n’a rien de vague ni de déclamatoire. Elle repose sur une construction esthétique très élaborée, dont la sophistication extrême débouche sur une simplicité absolue.
L’impression d’immersion dans la réalité la plus quotidienne est totale mais un examen un tant soit peu attentif découvrira l’artifice partout : éclairage irréaliste (la forêt illuminée), compositions hardies troublant les notions d’échelle (la maison minuscule sous un vertigineux pont routier), zooms sonores (conversation de deux jeunes filles sur le balcon d’un château d’eau, silences soudains), effets spéciaux (le taon qui sort du nez du dormeur ou l’ombre gigantesque de l’électricien sur la montagne irisée des couleurs de l’arc en ciel).
Ce qui frappe surtout c’est la netteté tranchante des cadres nous donnant à voir un fragment du monde visible, et de surprenantes coupes sèches. L’utilisation du champ contre-champ est tout bonnement renversante. Les plans de l’homme allongé sur fond de mur alternent avec leur pendant inversé sur fond de baie vitrée, celle-ci découvrant un extérieur toujours changeant : une cour, la neige qui tombe en gros flocons, un arbre en fleur (blanches) et, soudain, la forêt venue le chercher.
Plus surprenant encore : trois hommes de face buvant et devisant dans un bar à la fin d’une réunion d’anciens élèves, puis, sans prévenir, les mêmes de dos comme au bord du gouffre, sur fond de noir total d’où se détache un petit tableau aux couleurs vives (mauve, rouge, jaune) au bord du cadre, en haut à droite.
Ou la fumée sortant de la cheminée du crématorium, se détachant à peine sur le fond d’un ciel chargé mais qu’on voit après-coup, lorsqu’un contre-champ nous montre un personnage la regardant. (Mais nous, nous ne la reverrons plus !).
Cette esthétique du surgissement témoigne de la croyance inébranlable de Köhei Oguri aux vertus incantatoires du cinéma.
Lorsque un tourbillon de feuilles dans la cour signale à la mère de Takuji que son âme a quitté son corps, les proches réunis pour le veiller se mettent à crier son nom, à faire du bruit avec des casseroles ou à monter sur le toit pour le rappeler.
Il ne reviendra pas dans la maison mais son apparition au plan suivant dans la forêt (voir plus haut) nous sera offerte comme un des merveilleux cadeaux que nous réserve L’homme qui dort, oeuvre d’un cinéaste-magicien parvenu à l’accomplissement de son art poétique. La forêt oubliée renouvellera et prolongera l’enchantement.
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