L’Homme fidèle - Louis Garrel - critique

Critique : Louis Garrel en tant que cinéaste reprend une trame similaire à celle de son premier film, Les Deux amis, à savoir un marivaudage axé sur le triangle amoureux. Mais alors que la précédente œuvre se voulait une adaptation (certes libre) des Caprices de Marianne, le présent opus est basé sur un matériau originel, coécrit avec Jean-Claude Carrière. Le ton demeure toutefois identique et Garrel reste manifestement marqué par un argument qui était aussi celui de François Truffaut dans Jules et Jim ou Claude Sautet avec César et Rosalie. On a même droit à deux triangles sentimentaux qui constituent le prétexte narratif, à dix ans d’intervalle. En premier lieu, Marianne (Lætitia Casta) est partagée entre son amour pour Abel (Louis Garrel) et celui qu’elle découvre pour Paul (que l’on ne verra jamais).

© 2018 Why Not Productions Photo de Shanna Besson. Tous droits réservés.

Après la mort de ce dernier, nous découvrons qu’Ève (Lily-Rose Depp), la jeune sœur de Paul, a toujours été éprise d’Abel qu’elle essaiera d’arracher à Marianne, de nouveau en couple avec lui. Ce canevas minimaliste est greffé à une vague trame policière lorsqu’une des deux femmes est soupçonnée par Adam d’être une criminelle. Ayant conscience que ce scénario peine à remplir le cahier des charges d’un long métrage (on leur sera reconnaissant d’avoir limité sa durée à 1h24), les auteurs misent sur un ton décalé, des dialogues sophistiqués et un mélange des genres, établissant des glissements insolites entre le vaudeville romanesque et le drame mélancolique, le leitmotiv de la mort imprégnant avec audace une histoire guère originale sur le papier. Le meilleur réside dans son humour pince-sans-rire : lorsqu’Adam apprend sans sourciller que la femme qu’il aime le quitte pour son meilleur ami dans la séquence d’ouverture, il reste imperméable et ne manifeste ni colère ni douleur, tel un Buster Keaton stoïque et serein.

© 2018 Why Not Productions Photo de Shanna Besson. Tous droits réservés.

Sans coquetteries de style ni effets de montage, l’art de Louis Garrel mise sur une belle épure qui contraste avec l’agitation intérieure des personnages : « Il n’y a quasiment pas de plan à l’épaule, je voulais qu’il n’y ait pas de démonstration de la part de la caméra, que ce soit très simple, comme le scénario est très simple, je voulais ça pour le rythme du film », a déclaré le réalisateur. Ce cinéma est nimbé de légèreté et de grâce, dans la lignée balisée de la Nouvelle Vague, ce qui n’est pas surprenant de la part de l’interprète de Doillon, Bonello, Honoré, et bien sûr Philippe Garrel… C’est la qualité mais en même temps la limite d’une œuvre qui peine à franchir la zone de confort de la comédie d’auteur made in France, un problème qui était aussi celui du récent En liberté ! de Pierre Salvadori. Malgré ces réserves, L’Homme fidèle reste attachant et ses qualités d’écriture comme le jeu des interprètes (dont les charmantes Lætitia Casta et Lily-Rose Depp) compensent le caractère un brin artificiel du dispositif.