Le 15 juillet 2021
- Réalisateurs : Louis Garrel - Cyril Dion - Marie Amiguet - Aïssa Maïga
- Acteurs : Bella Lack, Vipulan Puvaneswaran, Flore Vasseur, Melati WIJSEN
- Festival : Festival de Cannes 2021
Cyril Dion, réalisateur et militant écologiste auréolé du succès de Demain (2015), revient au cinéma avec Animal. Il fait également partie de la sélection « Cinéma pour le climat », au sein du Festival de Cannes. Avec lui, nous avons pu parler écologie, pouvoir de la fiction et bataille pour la représentation du monde.
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- Crédits Eric Bonté
Entretien : Avant notre interview, Cyril Dion était en conférence de presse avec les autres artistes engagés dans la sélection « Cinéma pour le climat ». Ils ont tous signé une tribune, initiée par le mouvement On Est Prêt, parue le même jour dans Le Monde. On le retrouvait à côté de :
• Paloma MORITZ - Porte-parole du collectif On Est Prêt
• Marie AMIGUET - Réalisatrice
• Cyril DION - Réalisateur
• Louis GARREL - Réalisateur
• Bella LACK - Actrice/Activiste
• Aïssa MAÏGA - Réalisatrice
• Vincent MUNIER - Photographe
• Vipulan PUVANESWARAN - Acteur/Activiste
• Flore VASSEUR - Réalisatrice
• Melati WIJSEN - Actrice/Activiste
Avant eux, Thierry Frémaux, délégué général du festival de Cannes, aura rappelé que l’événement a changé ses pratiques et que l’objectif est la neutralité carbone. En matière d’image, on pourra questionner la pertinence de faire arriver les artistes en berlines et en 4x4. Mais le tapis rouge n’est plus emballé dans des matières toxiques, prenons ce qu’il y a à prendre. Pas d’hypocrisie non plus, tous les participants sont conscients qu’une manifestation culturelle de cette ampleur a un impact significatif.
Chacun aura eu son temps de parole. On y parle de représentation du monde. On affirme que le cinéma peut changer le monde, mais pas tout seul. Il peut jouer un rôle, pour alerter, inspirer, créer une nouvelle manière de penser le devenir de la Terre. Il s’agit d’éviter les représentations négatives, ultra-technologiques et/ou totalitaires du futur. Où sont les films positifs, inspirants ? Cyril Dion et ses camarades veulent croire qu’ils les présentent justement à Cannes cette année.
Après la conférence, nous retrouvons le réalisateur de Demain.
aVoir-aLire : Votre nouveau film, Animal, est présenté dans la sélection cannois du « Cinéma pour le climat ». Vous avez beaucoup évoqué la représentation du monde, lors de la conférence de presse. C’est de soft power dont on parle ?
Cyril Dion : Le cinéma peut jouer ce rôle de soft power. Mais il ne s’agit pas d’en faire la propagande ! Plutôt de mobiliser les artistes, qui sont sans doute les plus à même de nous émouvoir, et ce qui nous émeut nous met en mouvement. J’aimerais qu’on oppose à une logique extrêmement mercantile et manipulatoire, dans la publicité qui nous bombarde de message de représentations, une logique artistique, vivante, pour nous toucher au cœur. Qui pourrait nous interroger sur le sens de notre présence sur cette planète ? Est-ce qu’on est là pour acheter des iPhones et des bagnoles, faire la queue dans les centres commerciaux ? Ou pour autre chose ? Et alors pourquoi ? Peut-être qu’on a besoin de raconter comment on peut avoir une relation avec le monde vivant, comment on peut réinventer la politique, engager la lutte. Il y a tellement d’histoires à raconter en lien avec la gravité de l’époque qu’on traverse, c’est dommage de se cantonner souvent à la même chose.
Comment est-ce que vous voyez l’avenir de cette sélection du « Cinéma pour le climat » ? C’est vraiment éphémère ?
Cyril Dion : Ce serait au festival de le dire. Ce que j’aimerais, c’est que de plus en plus de réalisateurs, de scénaristes, de producteurs, se saisissent de ce sujet-là, qu’il soit au cœur de beaucoup de films. Est-ce qu’on a besoin d’avoir une sélection spéciale ? Pas forcément. Est-ce qu’on a besoin d’avoir des films qui traitent du sujet dans toutes les sélections ? Oui. J’adorerais. Là, c’est un premier pas. Peut-être que dans les années qui viennent ce sera naturel, on n’en aura même pas besoin.
aVoir-aLire : J’aimerais parler du pouvoir de la fiction, par rapport au documentaire. On a Louis Garrel dans cette sélection, qui est le seul à avoir fait de la fiction. Est-ce que vous y pensez et en quoi ce serait différent d’un documentaire ?
Cyril Dion : Je suis en train d’écrire deux fictions ! Une série de fiction qu’on co-produit avec ma société Bright Bright Bright et Capa. Et on travaille à l’adaptation du livre de Pierre Ducrozet, Le Grand Vertige, que je réaliserai. Une fois qu’on aura fini le scénario et trouvé le financement !
C’est différent dans la mesure où on peut prendre des libertés avec l’histoire, laisser libre cours à notre imagination, on est moins tributaire du réel. Donc, c’est un autre exercice, qui me plaît beaucoup et qui est très complémentaire. J’ai déjà écrit un roman, je suis en train d’en écrire un deuxième, cela me tente depuis un moment.
aVoir-aLire : Vous avez réalisé un documentaire avec Mélanie Laurent, Demain (2015), qui a connu un grand succès. On a parlé de tournant, avec plus d’un million de spectateurs dans les salles. On a aussi la COP21, cette année-là. Qu’est-ce qui a vraiment changé depuis ?
Cyril Dion : La prise de conscience du grand public, clairement. Ce qui l’a provoquée, ce sont les trois, quatre étés qu’on vient de vivre. En France, on a eu 47 degrés dans le Gard. Et quand on voit ce qui se passe au Canada… Ce n’est plus simplement un concept des écologistes. C’est une réalité. Les gens sont inquiets. Ce qui a aussi beaucoup changé est le fait que les politiques savent qu’ils n’ont plus le choix. Là, les États ont tous pris des engagements de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, d’ici 2030. Pas suffisant pour la plupart, mais ils sont « challengés » par les militants qui vont dans la rue, d’autres qui mènent des actions en justice. Tout cela n’existait pas quand on a sorti Demain. Comme disait Aïssa Maïga lors de la conférence de presse, le cinéma peut être un accélérateur de particules.
aVoir-aLire : On a aussi évoqué Une vérité qui dérange avec Al Gore (2007), qui a été jusqu’aux Oscars. De votre côté, y a-t-il un film qui a déclenché quelque chose en vous ?
Cyril Dion : Le film avec Al Gore m’avait fait un grand effet. La même année, j’avais vu We Feed the World (Erwin Wagenhofer, 2005), un documentaire sur l’agriculture, qui m’avait scotché. Il dénonce l’industrialisation de l’agriculture. Il « foutait les boules ». Il y a aussi Waste Land (Lucy Walker, João Jardim et Karen Harley, 2010), sur ce monde du tout-jetable, du tout-déchet. Sur le fait qu’on a mis des gens à Rio dans des immenses décharges, des gens qui avaient perdu toute dignité. Pour le film, ils ont travaillé avec un artiste d’art contemporain, Vik Munik, et c’est magnifique ce qu’ils leur ont fait faire pour redonner du sens à leur métier. C’était bouleversant. The Cove (Louie Psihoyos, 2010), qui a eu l’Oscar aussi, raconte comment les dauphins sont massacrés dans une baie du Japon, et comment des activistes essaient de changer cela.
aVoir-aLire : Tout ce que vous citez semble assez négatif, sombre. Cela « fout les boules ». Comment vous faites pour susciter quelque chose d’autre, quelque chose de positif ?
Cyril Dion : On essaie de raconter des histoires constructives. On filme des gens qui font des choses formidables, qui ont trouvé du sens à leur vie, ou au moins une autre forme de sens, et qui proposent des solutions. Je pense à un scientifique assez génial qui est à Stanford, spécialiste de l’extinction de masse des espèces, et Vipulan (Puveswaran, jeune acteur/activiste dans Animal) lui demande : « vous n’êtes pas complètement désespéré de voir toutes ces études horribles ? ». Lui nous disait que non, « je décide de me focaliser sur ce que je peux faire, et pas sur ce que je ne peux pas faire ». C’est cela qui lui permet de tenir. C’est d’une très grande sagesse. J’arrête de me taper sur la tête sur ce que je ne peux pas faire.
aVoir-aLire : C’est donc important d’avoir cette conscience du monde vivant, ce sur quoi vous portez votre attention dans Animal ? Se sentir animal dans le monde vivant. On a trop tendance à se sentir un petit peu au-dessus ?
Cyril Dion : Oui, c’est justement le problème. On en parlait avec Philippe Descola, un grand anthropologue. Il dit qu’on est dans une société et une civilisation occidentale qui a créé une rupture entre les humains et le reste du monde vivant. C’est le sujet de son grand livre, Par-delà nature et culture, qui faisait suite aux trois ans qu’il avait passés avec les Achuar en Amazonie. Il raconte que chez eux, comme chez beaucoup de peuplades dans le monde, le mot « nature » n’existe pas. En fait, il y a une continuité. On fait partie d’un tout. Nous, on a inventé un mot qui nous distingue du monde vivant. Il y aurait la nature et les humains. Tout l’enjeu, c’est de comprendre qu’on est totalement interdépendant du reste du monde vivant. Que s’il n’y a plus de forêts, il n’y a plus d’équilibre climatique. S’il n’y a plus de pollinisateurs, l’agriculture devient très, très compliquée. S’il n’y a plus de fourmis, il n’y a plus de végétaux. S’il n’y a plus de coraux, de vie dans les océans, non seulement des gens ne pourront plus se nourrir, mais en plus les océans ne joueront plus leur rôle de capter le carbone et relâcher de l’oxygène. On est la nature. Je déteste donc ce terme d’ « environnement », qui nous sépare du reste.
aVoir-aLire : Donc je ne dois surtout pas l’employer dans mon article… ?
Cyril Dion : "Environnement", c’est comme si on disait « décor » ! Tout ce qui concerne la "nature" vous concerne ! Vous êtes fait à 70 % d’eau…
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