L’enfer, c’est les autres...européens
Le 18 février 2014
Le documentariste suisse engagé Jean-Stéphane Bron a choisi de réaliser le portrait de Christoph Blocher, une figure politique incontournable à la tête de l’Union démocratique du centre, parti conservateur suisse, économiquement libéral.


- Réalisateur : Jean-Stéphane Bron
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français, Suisse
- Durée : 1h40mn
- Date de sortie : 19 février 2014
- Plus d'informations : Le site officiel du film

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Comment faire le portrait d’un homme dont on ne partage ni les idées, ni les méthodes, ni les convictions ?
L’argument : L’expérience Blocher, c’est l’histoire du leader politique le plus haï et admiré de Suisse. C’est aussi l’histoire d’un face à face, étrange et singulier, entre un réalisateur et un homme de pouvoir. Une fable sur le pouvoir qui capture l’esprit d’une époque où, partout dans cette Europe en crise, se lève le vent des nationalismes.
Notre avis : Comment réaliser un documentaire sur un politicien encore en activité sans que ce film ne devienne une vitrine de ses idées, précisément quand on ne les partage pas ? C’est le pari fou qu’a tenté de relever le réalisateur Jean-Stéphane Bron, qui a suivi plusieurs mois durant, au cours de l’année 2011, la figure incontournable du conservatisme suisse : Christoph Blocher. Cet homme politique, milliardaire, érudit et soutenant une idéologie populiste (pour ne pas dire nationaliste) a réussi à réunir plus de 30% de l’électorat suisse, en défendant la totale indépendance économique du pays contre le reste de l’Europe.
Ainsi, le parti-pris du réalisateur est simple : ne pas laisser la parole à Blocher, mais plutôt s’attarder sur son corps, ses gestes et ses attitudes. En posant sa caméra au plus près de son sujet (la majorité des scènes est filmée dans la voiture qui conduit le politicien à ses meetings), Bron évite toute tentative de dialogue. Il s’agit de présenter l’ascension de ce fils de pasteur, devenu chef d’entreprise puis leader politique, sans lui laisser la possibilité de s’exprimer sur son parcours, ses choix, et les nombreuses polémiques qui l’accompagnent.
© Les Films Pelléas
Ce sont plutôt différents éléments qui permettent de mieux comprendre la personnalité de Christoph Blocher et ses idées. Une grille de fer, filmée en ouverture et en clôture du documentaire, symbolise cette volonté de fermer la Suisse à toute intervention (ou attaque) extérieure, sur le plan économique d’abord, migratoire ensuite.
En s’attardant sur la passion de Blocher pour l’art, il s’agit aussi de montrer son idéologie nationaliste, car c’est vers des artistes suisses uniquement que s’articule son amour de la peinture : Ferdinand Hodler mais surtout Albert Anker, surnommé le « peintre national », dont il possède la plus importante collection au monde, ont ses faveurs. Mais à quel public s’adresse finalement ce film ? Le public suisse risque de trouver bien redondante cette longue biographie, entrecoupée d’images d’archives et de passages filmés par le documentariste. Malgré les commentaires qu’il livre en voix-off, cela ne permet pas de percer le mystère Blocher, et encore moins d’expliquer l’idéologie qu’il défend.
A l’inverse, le public international, français notamment, pourrait être suffisamment intrigué pour se renseigner davantage. Car le film aura au moins le mérite de révéler toute l’influence de l’homme politique sur ses compatriotes. L’intérêt du documentaire pour une personne connaissant Blocher est de retracer son enfance, de mieux connaître l’homme. Un spectateur qui le découvre aura au contraire tendance à se questionner sur le politicien, en trouvant l’homme quelque peu sympathique.
© Les Films Pelléas
C’est précisément ce que veut éviter le réalisateur, en ponctuant les maigres interventions de Blocher par une musique digne des plus angoissants films d’épouvante. Le message est clair : attention danger ! Car pour beaucoup de Suisses, cet homme représente le mal absolu.
Ayant bien plus conscience que ses compatriotes que la Suisse a servi de laboratoire à de nombreux partis européens, en accordant une place centrale à un parti politique extrême, Jean-Stéphane Bron cherche avant tout à faire réfléchir et à révéler la dangerosité d’un tel vote. Afin d’éviter, comme il l’espère, que d’autres pays connaissent le même sort.
© Les Films Pelléas